Performance digitale live du 7 au 9 avril 2020

Nous étions une cinquantaine hier soir à assister à cette performance.

Déjà, le théâtre de Vidy s’était singularisé par la création d’une scène numérique nommée Vidygital et accessible à tous sur son site internet, proposant des captations de spectacles, des entretiens et des conférences.

Face au confinement et dans son élan artistique, Simon Senn a conçu un produit dérivé de son spectacle «Be Arielle F», dont la création aurait dû avoir lieu lors du festival «Programme Commun» annulé pour cause de Covid-19. Le théâtre de Vidy vient donc à nous en organisant une vidéo conférence à l’aide de l’application Zoom (très facile à installer).

Chacun pourtant installé dans son intérieur, une proximité s’est tout de même faite sentir grâce à la possibilité d’une communication visuelle, vocale et par messagerie .

Pour nous permettre de bien appréhender sa démarche, Simon Senn nous en explique le déroulement à partir de son projet initial: habiter un corps virtuel pour un projet artistique.
Un procédé rendu possible sur une plateforme. Sur catalogue et pour 10 dollars, la réplique digitale d’une personne bien réelle est à vous. Oui, cela semble improbable, pourtant c’est possible!

De par le droit de disposer librement de son propre corps (ce qui n’est pas universellement admis, on le sait), cette personne a offert la digitalisation de son corps au monde de la technologie, un acte qui pourrait s’apparenter au leg de son corps à la science après décès.

Par acquis de conscience, l’artiste a désiré s’entretenir avec le modèle original. Lui accordera-t-il son approbation? Et au-delà des questions morales, qu’en est-il du point de vue légal?

Simon Senn a réussi à retrouver cette personne: une femme, genre choisi avant tout pour une compatibilité de proportions. C’est Arielle, une étudiante londonienne, qu’il rencontre. Il s’ensuit un dialogue plutôt surréaliste où il semble qu’Arielle réalise ce que peut impliquer son acte.

On retrouve ensuite l’artiste en train de s’équiper de capteurs et découvrant son corps féminin avec ravissement, sans toutefois perdre son identité masculine. Aurait-il de quoi s’inquiéter de cette binarité ambigüe qu’il appelle «dysmorphie snapchat»? La psychologue qu’il appelle lui apprend que l’inconscient n’a pas de sexe, donnant lieu à une très belle image du corps nu d’Arielle uni au visage de Simon et flottant sur les eaux dormantes d’un lac chimérique, qui m’a évoqué cette toile de Romaine Brooks.

En direct, l’artiste contacte Arielle et l’invite à prendre part à la conférence, permettant à chacun de s’exprimer et de lui poser des questions.

Ce spectacle, sous forme de conférence filmée, interroge le genre, l’appropriation, la technologie, l’identité, les limites corporelles ou encore spatiales. Il rend compte d’une expérience singulière et invite à une réflexion élargie sur ce qui est investi sur l’image personnelle. Il est surprenant de voir le visage de Simon porter comme un masque celui d’Arielle. Pas autant pourtant que cette possibilité d’habiter un corps qui n’est pas le nôtre, un genre auquel on est étranger. Ce procédé permettrait-il de vivre une sorte d’empathie matérielle?

Interview de Simon Senn à propos de « Be Arielle F » et « Live Stream Arielle F » from Théâtre Vidy-Lausanne on Vimeo.

Photographie d’en-tête Mathilda Olmi