« Mythologies américaines » II. Lee Lozano

Lee Lozano. Photo du site de la Bourse de Commerce

Un troisième volet sera consacré à l’expostion d’Edith Dekindt sous ce même thème des Mythologies américaines.

La Bourse de commerce, Fondation Pinault, présente l’exposition monographique Strike (grève, mais aussi frappe, attaque) consacrée à Lee Lozano (1930-1999). Une petite douzaine d’années de créations de cette artiste radicale de l’avant-garde newyorkaise.

Lenore Kastner se fait appeler Lee dès ses 14 ans. Etudes de philosophie et sciences, puis travaille comme graphiste. Elle obtient un Bachelor of Fine Art à l’Art Institute de Chicago en 1960, après son divorce de l’architecte Lee Lozano. Elle s’installe ensuite à New York, se liant d’amitié avec d’autres artistes dont Carl André. Première exposition en 1966, exposition personnelle au Whitney Museum en 1970.

Dans la première salle sont accrochés ses dessins de 1959 à 1964.

C’est un véritable choc de voir ces puissantes critiques expressionnistes. Elle semble animée par une colère gigantesque et son travail dessiné est perçu hors de toute assimilation genrée. Elle s’inspire de jeux de mots et caricature le système à la façon des publicistes. Son regard sarcastique dénonce violemment, pourtant sa position politique reste individuelle. Humour et provocation se percutent et grincent de concert.

On peut déjà déceler des rapprochements entre descriptions d’objets et d’organes. Les sens semblent posséder des vies indépendantes des corps, suggérant morsures, extraction, coupures, compressions, etc. Sa rage habite chacun de ses dessins.

1960, huile sur toile

Une nature morte composée d’un couteau bien pointu et d’un os, d’un tronçon de pomme ou d’une pourriture. Une utilisation épaisse de la peinture, rageuse et viscérale. Le danger rôde dans son oeuvre.

Un couvercle de WC sur lequel elle peint cette bouche qui possède sa propre vie et dont le cigare phallique remplace une dent manquante. Description scatologique des fonctions viscérales de l’artiste ou sourire sarcastique et inquiétant sur la société capitaliste à foutre aux chiottes?

Voilà une citation de « L’Origine du Monde » de Courbet dont la crue trivialité dépasse l’original! Une main gantée de noir, un sexe féminin identifié tel un distributeur automatique. Saisissante image dénonçant une image de la femme objet tout autant que du capitalisme ou encore du patriarcat.

De 1965 à 1969, l’art de Lee Lozano devient minimaliste et abstrait. Elle s’attache à la forme et laisse de côté la fonction. Elle veut traduire l’énergie, la lumière, la couleur. Les intitulés d’oeuvres sont alors des verbes suggérant l’action:

« Mes objets sont devenus des numens »

Le numen peut être perçu comme une puissance mystérieuse et invisible, qui se manifeste à travers des signes, des prodiges ou des miracles (définition).

La photo ci-dessus n’est pas bonne, mais on y perçoit quatre toiles formant un cercle, une seule n’étant plus à même de contenir toute l’énergie de ce que désire représenter Lee Lozano. D’ailleurs, les formats de son travail deviennent monumentaux et elle en calcule les proportions selon de minutieux principes mathématiques. Elle travaille sur la différence de l’espace en deux et trois dimensions.

 Son idée était de les installer dans une pièce aux murs noirs, qui absorberaient la lumière ; ils étaient destinés à s’appuyer contre le mur ou à être suspendus plus haut que d’habitude. La seule lumière dans la pièce devait provenir de projecteurs dirigés vers les toiles. Dans ses carnets, Lozano envisageait également de présenter la série sur un fond doré ou des photographies du ciel. Elle ne voulait pas que les peintures soient encadrées, car cela éviterait l’impression de vagues se propageant verticalement vers le haut et vers le bas au-delà des limites de la toile, créant ainsi un espace vibrant composé de lumière et d’énergie. «Je voulais donner aux gens le fantasme d’être dans l’espace. C’était l’idée à l’origine d’être comme une expérience scientifique, du point de vue d’un artiste. » (traduction d’un texte d’Iris Müller-Westermann, Moderna Museet)

 

Entre 1968 et 1970, Lee Lozano remplit onze carnets de notes décrivant son quotidien, ses relations, ce qu’elle consomme (drogues), ses méditations et ses exercices spirituels.

Vue partielle

Les artistes conceptuels et minimalistes, contemporains de Lee Lozano, ont pour particularité d’épurer leur oeuvre au maximum. Lozano abandonne son nom pour se faire appeler E (Entité, Energie, Expérience, Esprit). En février 1969, elle annonce sa dernière « pièce », General Strike, Drop out,et, dématérialisant son oeuvre, disparaît de la scène artistique.

« Progressivement, mais résolument, éviter de prendre part à toute fonction ou réunion officielle ou mondaine en relation avec le monde de l’art, afin de poursuivre les investigations d’une révolution personnelle et publique totale.(…) Je renoncerai à l’ego de l’artiste, l’épreuve suprême sans laquelle un humain ne pourrait devenir « de connaissance ». Je ne rechercherai pas la gloire, la publicité ou le succès »  Lee Lozano, 1971

En 1971, elle y ajoute « decide to boycott women », elle renonce à parler avec les femmes. Elle prévoyait que cette performance durerait deux mois, elle perdurera jusqu’à la fin de sa vie. Une sorte de dénonciation des relations de genre? Pourquoi ne pas boycotter le masculin? Aurait-elle vécu une dysphorie de genre? Vaines spéculations pour une artiste qui a radicalement fait de sa vie une oeuvre totale, échappant à la domination du marché de l’art ainsi qu’aux règles de la société.

Elle quitte NYC en 1972. Impossible de savoir où elle a vécu et ce qu’elle a fait entre 1973 et 1981. Elle s’installe, en 1982, à Dallas (Texas), où vivent ses parents, et y meurt en 1999 d’un cancer diagnostiqué trop tard.

Lee Lozano, Private Notes, 1969, © Photo : Kunstsammlung NRW Auflösung,

JE SUIS UNE TRES BONNE PEINTRE ET PAS UNE GENTILLE FILLE! E.

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