« Andromaque » Stéphane Braunschweig

Photo© Simon Gosselin

Comédie de Genève, du 8 au 14 février 2024

Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime Hector qui, lui, est déjà mort. La tragédie peut se résumer à cette courte trame. Comme toute littérature, ce qui importe est l’écriture.

Les quatre personnages qui se partagent l’intrigue sont accompagnés par leurs confidentes, leur ami ou leur conseiller. Iels pourraient s’assimiler à des « voix de la raison » ou des contradicteurs intimes ou intérieurs. Iels permettent le dévoilement des pensées des protagonistes au public. Huit interprètes se partagent donc la scène: Oreste et Pylade, Pyrrhus et Phoenix, Andromaque et Céphise, Hermione et Cléone. Il y a pourtant, dans cette version de Jean Racine, un personnage important qui n’apparaît pas mais qui est au centre de la narration. C’est Astyanax, le fils qu’Andromaque a eu avec Hector. Pyrrhus, fils d’Achille, se sert de l’enfant pour soumettre la mère.

Les cinq actes du drame se passent au même endroit, une salle du palais de Pyrrhus, vainqueur de la guerre de Troie. Le metteur en scène Stéphane Braunschweig installe une flaque circulaire rouge du sang des innombrables victimes de la guerre. C’est en son centre que l’action se déroule. Comme enlisés dans cette mare écarlate, les personnages, victimes eux-même,ne peuvent échapper aux traumatismes qui s’accrochent à leurs âmes.

Composée en alexandrins, le plaisir de la pièce est avant tout musical, si j’ose dire. Quant au sens, la tragédie classique peut sembler au premier abord obsolète, et pourtant… cette histoire d’amours contrariées reste aussi universelle que peuvent l’être celles de toutes les guerres. Ce Pyrrhus ressemble à une bête sauvage à peine rentrée de la chasse. Allure, posture, costume, démarche, même sa voix, sont empreintes des traces de ses combats.

PHOENIX
Sans doute. C’est le prix que vous gardait l’ingrate.
Mais laissez-la Seigneur.
PYRRHUS
Je vois ce qui la flatte.
Sa beauté la rassure, et malgré mon courroux,
L’orgueilleuse m’attend encore à ses genoux.
Je la verrais aux miens, Phoenix, d’un oeil tranquille.
Elle est veuve d’Hector, et je suis fils d’Achille.
Trop de haine sépare Andromaque et Pyrrhus.
PHOENIX
Commencez donc, Seigneur, à ne m’en parler plus.
Allez voir Hermione, et content de lui plaire,
Oubliez à ses pieds jusqu’à votre colère.
Vous-même à cet hymen venez la disposer.
Est-ce sur un rival qu’il s’en faut reposer ?
Il ne l’aime que trop.
PYRRHUS
Crois-tu, si je l’épouse,
Qu’Andromaque en son coeur n’en sera pas jalouse ?
PHOENIX
Quoi toujours Andromaque occupe votre esprit ?
Que vous importe, ô dieux ! Sa joie, ou son dépit ?
Quel charme malgré vous vers elle vous attire ?
PYRRHUS
Non, je n’ai pas bien dit tout ce qu’il lui faut dire.
Ma colère à ses yeux n’a paru qu’à demi.
Elle ignore à quel point je suis son ennemi.
Retournons-y. Je veux la braver à sa vue,
Et donner à ma haine une libre étendue.
Viens voir tous ses attraits, Phoenix, humiliés.
Allons.
PHOENIX
Allez, Seigneur, vous jeter à ses pieds.
Allez, en lui jurant que votre âme l’adore,
À de nouveaux mépris l’encourager encore.

Photo© Simon Gosselin

On pourrait s’interroger sur les raisons souterraines de l’intérêt de Pyrrhus pour Andromaque. N’y a-t-il pas là l’intention de dominer celle qui se refuse à lui, l’épouse de son ennemi, plutôt que la concupiscence d’un amant éconduit par celle que son coeur désire? Débordé par l’hybris

Les horreurs vécues dans les pays en guerres, les haines fratricides, les chantages odieux, les victimes vengeresses, les innocent.e.s martyrisé.e.s, les civils, mères et enfants, sacrifiés pour quoi?? La pièce, en dépit de sa forme classique, est toujours d’actualité, hélas.

Première édition, 1668 (Texte intégral)

Le prénom Andromaque vient des deux mots grecs aner (andros au génitif), « homme », et machê, « bataille ». Andromaque est donc celle qui combat les hommes. D’ailleurs, malgré ses souffrances, elle était, est et demeure reine.

4 réflexions sur “« Andromaque » Stéphane Braunschweig

    1. Hello JM! Oui, j’étais sur le départ. De plus, le théâtre classique me rend muette ☺️. Ce qui m’a plu, c’est la musique poétique. Que dire de plus sur cette pièce que je trouve à chaque fois très statique.

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  1. Dois-je comprendre que tu as moyennement apprécié ? Ta réponse m’intéresse, parce que je discute de ce spectacle avec un ami qui l’a vu tandis que je ne l’ai pas vu. En lisant ton billet avec attention, on se dit que tu n’en dis pas grand chose.

    Je t’embrasse. Jm

    Aimé par 1 personne

    1. Non, j’ai aimé, mais sans surprise. J’ai déjà vu Andromaque et cette version ne m’a pas apporté grand chose de plus que la précédente. Il y a une chose intrigante, à un moment, la confidente gesticule quand Hermione( ou serait-ce Andromaque?), immobile, s’exprime. Comme pour appuyer ou souligner corporellement un discours dit et non vécu. Je ne sais pas trop, mais cette dissociation m’a frappé.
      Effectivement je n’avais pas grand chose à en dire.

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