« Tambourines » Trajal Harrell

Au théâtre de Vidy, Lausanne, les 22 et 23 mars 2024

Décontractés et joviaux, le chorégraphe et deux de ses interprètes sont présents sur scène pour accueillir le public. En préambule, il nous est demandé d’ouvrir wikipedia sur notre téléphone et d’y lire le résumé de « La lettre écarlate » (1850) de Nathaniel Hawthorne. Ce roman dont l’action se déroule au XVIIe siècle, dénonce la société puritaine de l’époque. Son héroïne, l’une des premières de la littérature américaine, est une femme qui revendique ses actes et les assume sans honte indépendamment du jugement de la société .

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Trajal Harrell n’en fait pas une quelconque adaptation, mais en transpose la  thématique: oser être fier de ce que d’autres honnissent. Il en crée un quintette en trois mouvements entrecoupés de pauses: Fornication- Education- Célébration

© Orpheas Emirzas

Au temps premier, iels marchent en cercle, repoussant de leurs mains tendues, on ne sait quelles effrayantes figures. Sans jamais se toucher, leurs déplacements sont uniformes. Peu à peu, L’une se courbe, un autre se cache le visage. S’étant assis, il leur est déposé un costume sur le corps.

Au deuxième temps, iels sont assis sur un tabouret de piano, alignés face au public, vêtu.e.s de leur robes brunes. Un air d’opéra sacré (Purcell?) accompagne leurs gestes des bras, gestes copiés sur le personnage central. Celui-ci, mine de rien, surveille les attitudes. A certaines fugitives expressions, on devine leurs sentiments: coup d’oeil inquiet, besoin d’imiter à la perfection, de recevoir une approbation. L’un produit ses gestes machinalement sans expression, l’autre semble souffrir. Les gestes de prière se transforment en gestes de lecture commune. Puis chacun.e à son tour exprime sa gestuelle sous le regard du …dirigeant? Iels se connectent enfin par leurs mains, l’entourent, le soulèvent avec ferveur, non sans que l’une ne pique un fou rire, rendant la scène cocasse.

Au troisième temps, à vue, on engage les préparatifs de la célébration. Des piles de vêtements sont entassées à cour sur les tabourets. On va pouvoir se montrer en liberté. Leurs démarches en diagonale emprunte au voguing, pointes de pieds d’abord et déhanchements. L’une arbore une expression humble, une autre fière, la suivante arrogante, puis un regard baissé, iels défilent avec les époques, dans toute leur diversité, pressés de changer de costume après leur passage et de recommencer encore et encore. Le jeune homme toujours indifférent, la jeune femme pas trop sûre d’elle, l’homme fier et ambigu, la femme provocante, altière et fougueuse, tandis que tourne en rond près d’eux ce personnage solitaire en robe brune, rendu inexpressif, obsolète.

© Orpheas Emirzas

Ayant toustes revêtus la robe puritaine, iels se groupent pour élever leurs bras et faire danser leurs mains vers le ciel. Puis quittent ce vêtement et vont le replier dans l’amoncellement des autres oripeaux. Fin.

Les vêtements sont très importants. Une réminiscence de l’habit porté par les puritains américains du XVIIe est le lien avec le roman. Cette robe brune à long col blanc pointu réapparait dans les trois chapitres de la « narration » de Trajal Harrell. La personnalité, identifiée par son apparence vestimentaire, est une métaphore de son esprit et de sa culture. D’ailleurs certains habits utilisés au dernier acte portent encore une étiquette bien visible. Au figuré, le terme « étiquette » signifie ce qui marque une personne et la classe socialement.

Comme le précédent spectacle, la grâce et l’élégance sont partie prenante de la chorégraphie significative de Trajal Harrell. Sa bande sonore (dont je n’ai pas trouvé de référence) est remarquable et essentielle. Son spectacle est une ode à l’ouverture de l’esprit et du coeur, un hymne à l’évolution de la pensée humaine et à la diversité et un rappel des méfaits de l’obscurantisme. Telle Hester Prynne qui porte avec audace le A de l’opprobre sociétale et même l’enjolive d’ornements dorés, les minorités discriminées laissent flamboyer leurs particularités et avancent avec dignité dans la lumière.

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