Marina Abramovic, opéra et exposition

Celle que certain.es appellent « la grand-mère de l’art de la performance », l’artiste pionnière Marina Abramovic présente une rétrospective de son travail à la Royal Academy of Arts de Londres ainsi que son projet « Seven deaths of Maria Callas » au London Coliseum, pour cinq représentations en novembre 2023.

Марина Абрамовић est née en 1946 à Belgrade, capitale de la Serbie, où elle étudie dans différentes écoles et académies jusqu’en 1975. Son enfance est marquée par une éducation stricte et violente. Elle se déclare obsédée par Maria Callas dès l’âge de 14 ans au moment où elle l’entend à la radio. Depuis, elle lui a trouvé des similitudes avec sa propre vie

Couchée et strictement bordée dans un lit côté cour, Marina Abramovic incarne la cantatrice endormie en train de rêver. Ses sept morts sont figurées par les sept arias que La Callas a interprétés lors de sept opéras de Verdi, Puccini, Bizet, Donizetti et Bellini. Chaque chant précédant la mort violente de l’héroïne. Oui, l’image des divas que nous portons en nous se termine le plus souvent de façon dramatique. Ces héroïnes, inventées par des hommes,  contribuent à répandre une image de la femme à la merci du patriarcat dominant. Violetta meurt de tuberculose dans la Traviata (la dévoyée), Tosca se jette du haut d’une tour, Desdémone est étranglée par Otello, Cio-Cio-San se suicide dans Madame Butterfly, Carmen est poignardée par Don José, Lucia di Lammermoor devient folle, Norma est condamnée au bûcher.

Entre chaque rêve, la scène est envahie des limbes orageuses du sommeil tourmenté de Maria/Marina dont on entend la voix exhorter l’amour et la mort en formules poétiques et/ou  inspirées. Des effets spéciaux de nuages impressionnants. Apparaît alors l’une des sept solistes  interprétant en live son grand air accompagnée de l’orchestre. Simultanément, un gigantesque écran projette la création vidéo d’Abramovic (et Nabil Elderkin). Ce scénario théâtral se répète de pièce en pièce.

Photo du New York Times

L’acteur Willem Dafoe accompagne les performances filmées de Marina. Ce sont des rêves contemporains surréalistes où l’artiste performeuse s’offre du mélodrame à coeur joie, malgré un   visage plutôt figé. Abramovic mêle ici cinéma, opéra et théâtre en un melting pot qui fait plus ou moins d’effet selon la vidéo. Sans dévoiler les contenus filmés, les images sont des allégories mêlant les livrets d’opéra aux performances de Marina. Les sept soprani sont intensément plongées dans leur chant, n’étant pas tenues de jouer un rôle que la performeuse tient virtuellement à l’écran, elle-même toujours immobile sur son lit de douleur: l’artiste présente. Les cantatrices sont vêtues de tabliers et donnent l’impression de servantes, ce qui s’avérera exact durant la huitième mort, celle de La Callas dans son appartement parisien (à l’âge de 53 ans, 1977). En effet, Marina Abramovic finit par se lever pour mourir (!), un vase cassé signifiant sa fin qui sera balayé par les servantes/chanteuses avant qu’elle n’ouvre une fenêtre pour se baigner dans une divine et immortelle lumière.

Bavarian State Ope

Le spectacle se termine par l’apparition de Marina en robe d’or scintillante sur un air enregistré de Maria Callas (Casta Diva). Elle a le bon goût de mimer uniquement les gestes et non le chant. Sa voix incomparable fut l’instrument de la Callas, son corps est l’outil d’Abramovic. Les airs chantés par les solistes, tous célèbres, donnent un échantillon d’émotions pour le commun des mortels. Malgré la virtuosité des interprétations, les amateurices d’opéra seront certainement frustré.e.s. Voici donc une double célébration, celle de deux femmes artistes, qui ont marqué et marqueront leur temps. Un bel exploit, une apologie méritée, même si elle peut friser une certaine prétention.

A la Royal Academy, prendre des photos du show est interdit. Nous avons suivi cette directive tout en remarquant les nombreu.x.ses contrevenant.e.s. Trop suisses que nous sommes!

A l’occasion de ses 55 ans de carrière, voici donc la rétrospective à voir absolument de cette artiste pionnière du body art. A voir jusqu’au 1 janvier 2024 à Londres, puis au Kunsthaus de Zürich du 25.10.2024 au 16.02.2025.

Débutant en 1974 avec Rythm 0 (voir ICI), ses performances impressionnent par la mise en danger dans laquelle elle s’éprouve. L’exposition met en scène quelques-unes de ses performances reconduites par de jeunes artistes. D’autres sont des images d’archive filmées ou photographiées. Chaque expérience la confronte à la douleur ou à la peur, à une image de la mort ou à l’inconnu de la mort. Un art qui dérange et provoque les regardeu.r.se.s. Le public est accueilli par les photographies des regards des participant.e.s  de la performance The Artist is Present (512 heures) qui a eu lieu au MoMA en 2010. Les photos sont placées face aux portraits de Marina Abramovic qui paraissent tous différents sans que l’on perçoive ce qui change. L’exposition présente aussi des photos inédites, comme dans cette salle circulaire où quatre croix christiques monumentales représentent des portraits de l’artiste. Une série angélique et l’autre démoniaque, en positif et en négatif: ma préférence. Et quatre bustes sculptés en négatif dans une pâte de verre qu’il faut regarder de face pour en saisir le sens. On y voit la vidéo de sa performance de 12 jours de jeûne dans un simili appartement (photo ci-dessous) exposée aux regards, tentative de purification après le 11 septembre (je crois qu’une artiste la réitèrera), ou encore Balkan Baroque une performance où Marina Abramovic lave et frotte un tas d’ossements sanglants, tentant de dissiper la honte de la guerre des Balkans. Les dernières salles permettent de tester les effets de ses pierres et cristaux imbriqués dans des structures posturales.

Marina Abramovic, The House with the Ocean View, 2002, Vidéo à trois canaux (couleur, son)

Nous avons décidé de mélanger les époques, de créer des corrélations d’idées et de mettre en miroir des pièces de toutes les décennies. Chaque pièce de l’exposition – douze en tout – exprime une thématique. Plusieurs thèmes, dont Absence du corps et Limites du corps mettent en scène un travail sur l’endurance physique que j’effectue depuis mes débuts. The Communist Body («le corps communiste»), par exemple, soulignera l’impact qu’ont eu sur mon travail la vie en ex-Yougoslavie et les idéaux communistes. Visiting the Source of Nature parle de différentes cultures – tibétaine, aborigène, chamane, au Brésil – et décrit ma quête vers la transcendance. L’exposition est un voyage. Des performances auront lieu tous les jours, plusieurs fois par jour. (Marina abramovic, Magazine Madame Figaro, 14.10 2023)

Balkan Baroque, 1997

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