« Présence de la mort » Sarah Eltschinger

Au Théâtre de Vidy du 3 au 8 février 2024.

Avec Elsa Thebault, et Nicolas Roussi.

Photo © Nicolas Brodard

« Alors les grandes paroles vinrent ; le grand message fut envoyé d’un continent à l’autre par-dessus l’océan. La grande nouvelle chemina cette nuit-là au-dessus des eaux par des questions et réponses. Pourtant, rien ne fut entendu. » (C.F. Ramuz, Présence de la mort, incipit)

La metteuse en scène Sarah Eltschinger, dont j’ai admiré le travail dans « les Papillons de Nuit« , adapte un texte centenaire de Charles Ferdinand Ramuz (1878-1947) qui paraît tout droit sorti de l’esprit écologiste d’un écrivain contemporain.

C.F. Ramuz a l’idée de ce récit en 1921, lors des températures caniculaires de l’été 1921. Il y figure un observateur racontant un réchauffement climatique accéléré. Un degré de plus chaque jour. Sans s’appesantir sur les causes du désastre, il décrit les conséquences humaines qui en découlent. Une situation où peu à peu, après le déni, les codes s’effondrent et les comportements deviennent épouvantables.

Le dispositif scénique, très simple, a été conçu pour les salles de classe. Ce ne sont donc que quelques tables qui évoquent la scène de théâtre sur et autour desquelles évoluent les acteurs.rices, le public étant placés sur des chaises de part et d’autre de la plateforme. Au tempo des mots, une chorégraphie s’installe. Des corps languides émerge une tension, qui tourne à l’embrasement. Le détachement a fait place à l’urgence, la torpeur à la conscience.

La langue expressive et poétique de Ramuz, qui fut en son temps controversée pour sa rudesse, est magnifiée par la voix des deux jeunes interprètes. Leur jeu scénique intense est accentué par leur proximité et les transfigure en de vibrants intermédiaires. La fiction alors se mêle finement à la réalité contemporaine. D’autant que l’histoire se passe à notre porte, l’auteur la situant près de notre lac, de nos montagnes. Tour à tour reprenant le récit du narrateur, iels ne s’adressent qu’au public, d’abord collectivement, puis, descendant à leur niveau, aux individus. Ce n’est qu’au terme de la pièce, évoquant l’amour qui peut tout, qu’ils se regardent et se parlent, au moment où, même dos à dos, leurs mains s’entremêlent.

Terminant en chantant d’une voix douce une chanson populaire des années 70 (que les plus âgés reconnaitront), leurs regards vissés dans les yeux des spectateurs.rices, qu’iels laissent tomber le verdict de notre vieux monde avec légèreté… mais gravité aussi. Cela fait bien cinquante ans que nous ne pouvons nier avoir été avertis, Ramuz avait pris de l’avance.

Le texte (Bibliothèque numérique romande)

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