« Invisibili » Aurélien Bory

Le Triomphe de la Mort, env. 1446 (600×642 cm), Palerme

Au Théâtre des Abbesses, Paris, du 5 au 20 janvier ; à La Coursive, La Rochelle, les 30 et 31 janvier ; à la Maison de la Danse, Lyon, du 6 au 10 février; etc.

A l’origine, une commande destinée à un lieu de soin, cette grande fresque est exposée au Palazzo Abatellis de Palerme. Endommagée par le temps, elle reste néanmoins visible. C’est là qu’elle a impressionné le metteur en scène et scénographe Aurélien Bory, invité en Sicile par le Teatro Biondo, à la recherche d’une inspiration commune à celle de Pina Bausch en 1989 (https://player.vimeo.com/video/808387150?h=fddfbf4f1b« > »Palermo, Palermo »). La fresque aurait inspiré en partie le Guernica de Picasso.

La fresque montre la cavalcade de la mort visant et tuant des personnes de toute origine sociale. Le dernier atteint est l’homme en bas à droite dans un vêtement bleu bordé de fourrure blanche. D’autres morts gisent sous le cheval. Sur la gauche, de pauvres gens souffrants supplient la mort qui pourtant les ignore. A droite et en haut, des nobles vaquent à leurs occupations, refusant de la regarder. Trois femmes, peut-être les Parques, assistent au carnage, imperturbables.

Ce tableau monumental est devenu le rideau de scène de la pièce. Son utilisation est superbement organisée. Il change de teinte suivant son éclairage, assombri ou rehaussé de lumière. Il est manipulé non seulement lors des entrées et des sorties des personnages, mais il est aussi froissé, trituré, sculpté selon l’effet à produire. Il s’envole et se dresse tel une vague gigantesque. Il est un élément vivant du spectacle, jusqu’à engloutir, envelopper, habiller les comédien.ne.s.

Le focus est braqué sur certaines scènes de la fresque qui sont réinterprétées. Les quatre femmes tout en bas qui en soutiennent une autre, les trois Parques, mains liées, dansent une ronde infinie évoquant celle de Matisse, les pleureuses qui tremblent et se lamentent, les combattantes, celles qui font face, celles qui ploient, celles qui feintent. La parole est donnée aux 34 personnages de la fresque, successivement mis en lumière, par l’intermédiaire de l’une des actrices (en italien). Un autre moment superbe donne vie aux personnages de la fresque par le biais d’un filmage vidéo en direct. Autant d’âmes invisibles mises en lumière.

On retrouve quelques citations évoquant Pina Bausch: les combinaisons fluides des danseuses, les chaises, l’expressivité, etc. (site montrant des extraits de ses pièces)

J’ai moins apprécié les séquences se rapportant à l’actualité, comme les médecins auscultant une femme pour un cancer du sein (peste contemporaine) et le canot pneumatique en référence aux migrants: la poésie du reste de la pièce m’a paru plus élevée, plus évocatrice. Ce canot pneumatique semble trivial dans ce décor éthéré, même si pour terminer il compose une majesté en forme d’arche. Le choix le plus pénible, celui de l’Hallelujah de Cohen, hurlé par des pleureuses chevrotantes. Il nous replace dans une réalité ordinaire, au contraire d’autres moments aériens et inventifs. Une décision scénographique d’alternance entre réel et fiction trop brutale pour mon goût.

Photo ROSELLINA GARBO

Le souffle, fondement de la vie, est le fil conducteur de l’approche musicale de la pièce. Jusqu’au dernier soupir, figurée par l’embarcation se dégonflant, expiration sonore de l’air vital par l’intermédiaire de l’harmonium.

Toustes sicilien.ne.s, les quatre danseuses (Blanca Lo Verde, Maria Stella Pitarresi, Arabella Scalisi, Valeria Zampardi), le chanteur-acteur Chris Obehi (migrant), et le saxophoniste-compositeur Gianni Gebbia, créent une fluidité harmonieuse et élégante pour ce sujet austère. Sons graves et mélodies se mêlent. Les accents du saxophone et la voix du chanteur offrent des instants particulièrement inspirés.

Au final, spectacle d’une grande beauté, empreint de grâce et de sens, malgré quelques choix que, pour ma part, j’ai trouvé inégaux.

 

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