« Violence Forest » Nina Negri / Laura Den Hondt

Au Théâtre de Vidy, Lausanne, du 1 au 23 novembre 2023.

En-tête photo personnelle prise au Palais des Papes, Avignon. Eva Jospin, Forêt Galleria, 2023.

“Mettre en scène la violence sans faire violence, pour toucher à ce qui génère violence à l’intérieur de chacun·x·e d’entre nous.”

Qu’est-ce qui génère la violence? C’est une des questions que pose cette nouvelle création de Nina Negri ( après « M la Multiple » et « Sous Influence »). Couplant son art à ses interrogations, la metteure en scène, accompagnée de son inoubliable interprète Laura Den Hondt, esquisse une sorte d’historique poétique de la construction d’une femme avec un focus sur l’origine et l’extension de sa violence.

Violence Forest, forêt de violence. Forêt de contes, inextricable, mystérieuse, angoissante. Forêt macrocosme, majestueuse, ancestrale, sauvage. Forêt précieuse … forêt qui brûle…

Partant du cas particulier de Merry, personnage du formidable roman « Pastorale américaine » de Philip Roth, trois périodes clés de son évolution sont explorées. Cependant le texte ne fait que s’appuyer sur le personnage de Roth pour ensuite évoluer sur des textes écoféministes et contemporains. A l’intime, la narration juxtapose le sociétal. De son éducation cristallisant les injonctions contraignantes ainsi que sa prise de conscience des injustices sociales, Merry développe une révolte qui la conduit à une extrême violence, puis se radicalise dans le respect systématique de toute vie. La pièce met en évidence la diversité des causes de cette ébullition.

Décrite comme étant un solo performatif et musical, la pièce est aussi, par son décor monumental créé par la plasticienne Eva Jospin, une déambulation dans une forêt sculptée onirique, oscillant entre nature et culture, où par le jeu subtil des lumières, l’atmosphère devient sylvestre ou urbaine, inquiétante ou rassurante, confinée ou extensible, archaïque ou contemporaine. Cette atmosphère est appuyée par un fond sonore et musical, qui enveloppe la représentation dans ses différents environnements.

Photo © Manuele Geromini

Aux prémices, il y a son visage dans  l’incandescence d’une lumière rouge. Ses expressions étonnées, contrites, grimaçantes, son sourire crispé et sa langue, surtout sa langue, ductile, frétillante, qu’elle étire entre ses lèvre avec délectation.

La petite fille en jupe plissée souffre d’un bégaiement qui irrite sa mère, elle se passionne pour Audrey Hepburn et adore son père. La comédienne, elle, a zozoté dans son enfance. Et voilà l’histoire mêlée à la vie: le personnage de Merry fusionne avec Laura. Voilà les questionnements existentiels. Voilà la jeune fille abandonnant simultanément sa docilité et son bégaiement. Voilà, en 1968, une génération contestataire, marquée par la guerre du Vietnam, qui fait écho à celle des années 2000, nouveaux corps de la mutation, marquant la société d’actes de résistance, cette fois pour le climat et une nouvelle fois pour des droits humains et animaux.

Venant chambouler le rythme, un slam* extraordinaire sur le thème du temps, puis un second sensuel, érotique, empli de chair désirante, mélange de langues anglaise et française, mélange de genres et de sexes, apportent cette violence et « salissent » à dessein une image essentialiste de la femme. Quelle différence avec Moon River chanté par l’adolescente!

Les écrits écoféministes de Audre Lorde, Adrienne Rich, bell hooks, Dorothy Allison, Elodie Petit, Gloria Anzaldùa, Lauren Bastide, Fatima Ouassak, Paul Preciado, Wendy Delorme deviennent les outils littéraires, les armes poétiques, avec lesquelles affronter, démontrer, résister, s’affirmer.

Pour ce fabuleux décor, pour cette actrice captivante, pour cette mise en scène magique, pour ces lumières fascinantes, pour cette musique envoûtante, pour les questions qu’elle pose et pour ces textes que l’on aimerait relire, il ne faut pas manquer cette pièce magistrale.

*poésie engagée déclamée en public

Sur Vimeo plusieurs films et extraits de la compagnie AlmaVenus fondée par Nina Negri

Sur Spotity, une interview de Nina Negri sur le podcast Plages de scène.

Paru en traduction française en 1999. Lu pour la première fois à cette date…

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