« De l’hystérie de masse » Laia Abril (1986)

Laia Abril a obtenu (entre autres récompenses) le prix Images Vevey Best Book en 2015 pour son travail « Lobismuller » qui porte sur un tueur en série ayant sévi en Espagne vers 1850 s’étant dit frappé de lycanthropie. Elle y propose une réécriture de la légende (Romasanta) à la lumière de la découverte de son intersexualité. D’après de récentes études, cette personne a été élevée comme fille jusqu’à l’âge de 6 ans. Ses troubles pourraient provenir du fait que ses chromosomes sexuels n’étaient pas conformes à ses organes génitaux.

Née à Barcelone, Laia Abril travaille sur des thématiques liées aux droits des femmes. Sa trilogie est intitulée « Une histoire de la Misogynie« , projet initié en 2016 aux Rencontres d’Arles, avant la vague #MeToo donc . Après « On Abortion » et « On Rape« , le troisième chapitre « De l’Hystérie de masse » est une exposition d’archives qui fait l’objet de l’exposition actuelle à Plateforme 10, PhotoElysée (jusqu’au 1 octobre 2023)

Elle précise que son travail est UNE histoire de la misogynie, une sélection personnelle effectuée parmi les recherches anthropologiques, sociologiques et historiques qu’elle a effectuées, ainsi que des témoignages de psychiatres et de psychanalystes. Elle en revendique le regard féministe.

Cette maladie psychogène de masse était appelée autre fois hystérie de masse, Laia Abril se réapproprie le terme hystérie qui a été utilisé au cours de l’histoire « pour contrôler les femmes et minimiser leurs souffrances » dit-elle. Elle explore ce processus comme une forme ancestrale de protestation de masse, la seule possible au vu des normes et autres pressions sociales. Ce phénomène se produit depuis des siècles et a été associé, par exemple, aux soi-disant sorcières envoyées au bûcher au Moyen Age ou à Salem au XVIIe (les sorcières de Salem, dont Arthur Miller publia la pièce « The crucible »).

Dans Cas d’étude#2 Cambodge 2009-2022, le caisson lumineux ci-dessus montre 100 images satellites d’usines cambodgiennes (où des cas d’évanouissements massifs se sont produits depuis plusieurs années) superposées à une carte des champs de bataille des Khmers rouges dans les années 70.  Des femmes travaillant dans ces usines estiment qu’elles ont été bâties sur des charniers génocidaires (fait avéré). D’après un anthropologue, Maurice Eisenbruch, les évanouissements collectifs constatés pourraient être dus à des réactions de rebellion inconscientes, mais aussi à une reconstitution de la douleur  transgénérationnelle .

Mind Series, évocations de rêves, et Voices of Cambodgia, extrait lien vidéo

Convulsions, tremblements, évanouissements, fous-rires, paralysies, tics…Ces phénomènes collectifs pourraient-ils être un protolangage inconscient de protestations de la part de femmes souffrant de l’oppression que la société exerce à leur encontre?

Minimisation des faits par les usines et dirigeants politiques

Cas d’étude#1: Au Mexique, en 2007, près de 600 jeunes filles titubent incapables de marcher correctement. Internées dans un pensionnat catholique, elles doivent se plier à des règles morales et physiques austères et rigides.

Cas d’étude#3: 2011-20112, une douzaine de jeunes filles de l’Etat de New York (à Le Roy) sont prises de spasmes musculaires et de tics incontrôlables similaires à ceux du syndrome de la Tourette. Un sociologue de la médecine considère cela comme le premier cas controversé de trouble psychogène de masse de « l’ère des réseaux sociaux » touchant principalement des adolescentes.

Avec l’installation audiovisuelle Mass Protest, Laia Abril fait le lien entre situations de refoulements avec symptômes physiques et manifestations politiques collectives en proposant photos et vidéos d’archives témoignant de ces évènements en diverses parties du monde.

Mass Protest lien extrait vidéo

Féminicides, droit à l’avortement, violences sexistes ou sexuelles, droit à l’éducation, droits des personnes transgenres, droits des travailleu.r.se.s du sexe, etc. Les manifestations politiques de résistances féminines dans le monde sont montrées sans références géographiques.

La scénographie sombre et les murs noirs, les cabines de projection favorisant une vision plus confidentielle, les témoignages enregistrés, les dizaines de livrets d’archives alignées contre les murs, cette exposition impressionne durablement sur un sujet qui ne nous parait pas vraiment proche, mais qui reste une image politique de l’asservissement insidieux dont les jeunes femmes ont fait l’objet. On ne peut d’ailleurs guère affirmer que les diktats de la société envers le genre féminin ont disparus totalement même en Europe. Les photos suggèrent par allusions, associations ou métaphore, ceci dit, il y a beaucoup à lire tout de même. Un nouveau sujet de réflexion en lien avec tous les efforts produits dans les institutions d’art pour visibiliser les avancées et l’histoire du féminisme.

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