
Au Théâtre de Vidy-Lausanne du 5 au 8 février 2020
Francesca Cuttica, Daria Deflorian, Monica Piseddu, Benno Steinegger, Antonio Tagliarini. Cinq comédiens pour figurer le mal-être, cinq personnes inspirées par une seule: Giuliana, interprétée par Monica Vitti, personnage central du film «Le Désert Rouge» (1964) de Michelangelo Antonioni, dont ce film fut son premier en couleur.
Au cinéma, malgré sa matérialité, Giuliana erre dans l’abstraction d’un monde en mutation qu’elle ne comprend pas. Au théâtre, elle ne sera présente que par allusions. Sur scène, les comédiens, trois femmes et deux hommes entre la trentaine et soixantaine, sont dans le même cas : largués. Il y a presque un demi-siècle, Antonioni le réalisateur choisissait une femme pour personnifier le sentiment de vacuité et la latence de la dépression. Pour Daria Deflorian: «il nous a semblé que celle qui, dans le film, incarnait une condition féminine particulière était aujourd’hui devenue, subtilement mais irrémédiablement, une condition si partagée… par tous.»
Quasiment rien sur le plateau. Une commode et une armoire de bois, un fauteuil rouge, quelques chaises. Juste de quoi s’arrimer un instant, de quoi s’accrocher au tangible, comme une mémoire, un bagage ou un lest.
Quasiment rien comme histoire. Parler de soi ou se taire, se mouvoir, à peine, écouter.
Immédiatement, la question du regard est mise en avant, le malaise dû au regard. Les personnages se succèdent sans parler entre eux, aucun partage, seulement: «Je peux me mettre à ta place?» et se raconter au travers de quelques épisodes personnels. Implacable solitude. Non sans humour, ils et elles racontent les images cachées d’eux-même, celles qui ne sont pas conformes parce qu’elles leur paraissent vides, celles que la société réfute parce que déstabilisantes. Alors, il faut faire comme si de rien n’était, tenter un équilibre bien rigide, même si c’est sur la tête.
Ils disent les petites choses: le mur des habitudes, les gestes qui n’ont pas de fin, s’enfermer aux toilettes comme un refus du monde, le rêve de redevenir élémentaire, l’oppression qui fait se sentir inférieur. Ils disent la fragilité, le malaise existentiel, le sentiment d’irréalité, l’anxiété. Ces petits riens qui rendent la vie pesante. Il faut alors «endormir le mal sous une montagne d’actions».
Ici, délicatesse et simplicité remplissent d’humanité cette obscurité mentale, ce sentiment d’inutilité et d’incompétence que tous nous avons ressenti à un moment ou un autre. Miraculeusement ce n’est pas triste, un peu mélancolique peut-être. La femme trentenaire l’exprime en chanson, d’une voix claire mais incertaine, fragile mais résolue. Parce que la musique sait dire.
Cette pièce est un miroir. Impossible de ne pas s’attacher à ces comédiens, impossible de ne pas se reconnaître dans une phrase, impossible de «décogiter». Voici les doutes de la maturité, l’adieu inévitable à la légèreté, l’incompréhension face à un monde qui se délite et les tourments plus ou moins soutenables que cela implique.
Magnifique et subtil!
§
Le vide émotionnel : » j’ai besoin de quelque chose mais je ne sais pas ce que c’est ».
Sensation temporaire ou pérenne, le vide émotionnel se présente à nous de manière assez cruelle, masqué sous les traits de sentiments que nous ressentons, de doutes que nous avons, d’un épuisement général qui nous abat et d’un manque de passion qui nous tourmente.
Anatomiquement, c’est une déconnexion se produit entre le système limbique et le système préfrontal, la même que celle qui survient chez les personnes atteintes de dépression. (article complet)

L’une des protagonistes de « Quasi Niente » parle des livres d’Alice Munro (1931). Cette autrice canadienne, essentiellement nouvelliste, n’a pas son pareil pour évoquer les petits riens qui usent et démolissent ainsi que les névroses qui en découlent. En 2013, elle fut la première écrivaine canadienne et la treizième femme de lettres à recevoir le prix Nobel de littérature.
j’aime bien le « concept » du « décogiter » –
Ton texte me fait peser à : « Qu’est-ce que j’peux faire, j’sais pas quoi faire…. »
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Le verbe décogiter (ou decogitare) vient de la pièce, elle-même en italien surtitré!
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Merci du passage, Pierrot!
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