Francesca Woodman (1958-1981) § Identité

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Francesca Woodman, autoportrait, 1975-1980, Rome.

Copyright des photographies : Georges et Betty Woodman.

  Née à Denver, Francesca Woodman est une photographe américaine. Ses parents, Georges et Betty, sont artistes (céramistes, photographe, sculptrice).  Dès l’âge de treize ans, initiée par une professeure, elle s’essaie à la photographie.

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Francesca Woodman, « Autoportrait à 13 ans ».
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Francesca Woodman, « House 3 », 1976, Rhode Island.

En 1975, elle entre à la Rhode Island School of Design de Providence, ses clichés lui valent de décrocher une bourse qui lui permet de passer un an à Rome (1977-1978) en Italie. Un pays qu’elle connait, ses parents possédant une résidence secondaire en Toscane où, enfant, elle dessinait les belles dames qu’elle voyait dans les musées. Au terme de ce voyage, elle obtient son diplôme et sa première exposition a lieu dans une librairie galerie.

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Francesca Woodman, série « Anguille », 1977-78, Rome.
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Francesca Woodman, Série « On being an Angel »

Sa série « On Being an Angel » (en étant un ange), prise dans une usine désaffectée date de cette époque. A son retour, elle s’installe à New York. Elle lit des auteures féministes (Virginia Woolf) et les classiques romantiques (Jane Eyre).

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Francesca Woodman Francesca Woodman, « Easter Lillies », Providence, Rhode Island, 1976 20.3 x 25.4 cm.

Entre 1978 et 1980, Francesca Woodman s’intéresse à la photo de mode, réminiscence de ses croquis d’enfance et peut-être projet professionnel, mais aussi outil pour de nouvelles pratiques artistiques.

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Francesca Woodman (travail sur les photos de mode) à la Marian Goodman Gallery

À l’été 1980, elle poursuit son travail lors d’une résidence à la MacDowell Colony dans le New Hampshire. Mais elle fait une première tentative de suicide en automne de cette année. Elle survit, bénéficie d’un traitement psychiatrique et emménage chez ses parents à Manhattan. L’écriture l’intéresse aussi et elle publie un livre en janvier 1981,  « Some Disordered Interior Geometries » (Certaines géométries intérieures désordonnées), 24 pages de géométrie et d’autoportraits.

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« Some Disordered Interior Geometries »

En 1981, elle se jette d’un immeuble de l’East Side new yorkais. Déceptions et rupture amoureuse ont renouvelé sa dépression. Elle n’est identifiée que plusieurs jours après sa mort, grâce à ses vêtements.

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Francesca Woodman, « Self Deceit » (Leurre), 1978
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Francesca Woodman, Untitled, Yet Another Leaden Sky, Rome, 1977-78.

L’oeuvre de Francesca Woodman a été constituée entre 1972 et 1981. Elle composée de plusieurs centaines de clichés, la plupart noir/blanc, dont seule une petite partie a été exposée (par exemple à la Fondation Cartier pour l’Art Contemporain en 1998).

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Francesca Woodman, « Untitled », 1977-78
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Francesca Woodman, Untitled, Providence, Rhode Island, 1975-78.

Son fascinant travail sur l’autoportrait, la disparition, le flou, exalte l’effacement de soi. Le miroir la captive, elle s’y engouffre. Miroir reflétant ou miroir déformant, elle imprime la trace de l’éphémère passage de son corps qu’elle choisit de fragmenter. Elle construit un monde imaginaire, mystique et poussiéreux, un monde intime et tragique où elle joue avec son identité, se rend invisible en s’incrustant dans le décor. Entre présence et absence, elle explore inlassablement son angoisse d’exister

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Francesca Woodman. Space2, Providence, Rhode Island, 1976 Impression sur épreuve à la gélatine argentique, 13.7 x 13.3 cm © 2012 George and Betty Woodman

Les photographies troublantes de Francesca Woodman peuvent sembler prémonitoires. Sa jeunesse doit pourtant engager à une lecture moins psychologique de son travail. Sa mère, qui gère l’oeuvre de cinq cents épreuves originales, planches contact et poèmes, rappelle :« Don’t forget she was a kid ».

En 2014 a eu lieu à Londres une exposition consacrée au zig-zag dans l’oeuvre de Francesca Woodman, un motif géométrique répétitif qui confirme sa recherche de cadrage et de mise en scène esthétique.

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Francesca Woodman, « Untitled », Antella, Italie, 1977-78
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Chris Townsend, « Francesca Woodman », Phaidon, Paris, 2007. 240 pages. Photographies : 30 en couleurs, 230 en noir & blanc.

Chris Townsend a publié une monographie de l’oeuvre de Francesca Woodman (édition Phaidon) dans laquelle il souligne son statut d’étudiante et affirme, plus que son génie, sa « remise en cause de la tradition de l’autoportrait » et la « critique de la capacité de la photographie à cerner la vérité du sujet. »

Un film sur la famille Woodman par Scott Willis : http://thewoodmansmovie.com/

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L’oeuvre de Francesca Woodman semble indiquer une quête d’identité. Un mot qui revient souvent dans les publications: conflit identitaire, identité masculine, troubles de l’identité, identité nationale, identité religieuse, etc. Est-il synonyme de culture, décrit-il une pathologie, une préférence sexuelle? Trois formes globales de l’identité peuvent être définies:

L’identité collective, est celle des nations ou des minorités, étudiée par les historiens ou les anthropologues.

L’identité sociale intéresse les sociologues et la psychologie sociale.

L’identité personnelle investie par les psychologues, psychanalystes ou philosophes. Pour Paul Ricoeur (1913-2005), philosophe français attaché à l’analyse de la métaphore, c’est l’identité narrative:

La psychanalyse a mis fin à l’image unifiée du moi. La conscience unifiée de René Descartes (le cogito) a laissé place à une personnalité divisée en plusieurs instances : le moi, le surmoi, l’inconscient. Paul Ricoeur parle de « cogito brisé » pour évoquer cette nouvelle représentation du psychisme où l’identité a perdu son unité. Pour autant, nous ressentons tous le besoin de donner une certaine unité à notre existence. Cette unité prend la forme d’un récit que l’on peut composer sur soi-même. C’est ce que P. Ricoeur nomme « l’identité narrative ». Cette notion désigne le fait que l’individu se présente à lui-même sous la forme d’une histoire personnelle racontée. L’identité narrative apparaît autant comme un enjeu pour les individus que pour les groupes qui (re)construisent leur identité au travers de grands récits.

(source :http://www.scienceshumaines.com)

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Photo de Francesca Woodman. Sans titre, Providence, Rhode Island, 1976 Impression sur épreuves à la gélatine argentique, 14 x 14.1 cm © 2012 George and Betty Woodman

8 réflexions sur “Francesca Woodman (1958-1981) § Identité

  1. tout me plait dans cet article, l’artiste et la référence à Paul Ricoeur. tu aimerais discuter avec mon fils sociologue qui après sa recherche pense que l’identité collective et sociale n’existe pas, mais l’identité personnelle, oui…Je ne suis pas assez calée, mais c’est intéressant.
    En tous cas, photos troublantes

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    1. La sociologie semble une science passionnante. Je n’y connais rien non plus, ce sont les références que je trouve qui m’y amène. Ce thème mériterait des approfondissements ou quelques lectures. Mais déjà juste la fiche wikipedia de Ricoeur n’est pas simple! Rien ne vaut, en effet, une discussion avec un(e) initié(e)…Céciiiile!

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  2. Merci à vous pour cet article passionnant que j’ai lu de bout en bout d’une seule traite !!! Le travail de Francesca Woodman sur l’identité et l’effacement de soi débouche sur des autoportraits aussi singuliers que troublants. Une façon stimulante de remettre en lumière la dimension créative et artistique de la photographie…

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