Adrian Paci (1969) § Voies de migration légale

01-9882_0x440Adrian Paci est un artiste albanais qui vit et travaille en Italie. Il est à la fois peintre, sculpteur, vidéaste et photographe.

Né en Albanie, Adrian Paci suit les cours de l’académie des Arts de Tirana dès l’âge de 18 ans en 1987, une formation classique de peintre et sculpteur, fortement cadrée par le régime communiste de cette époque. En 1992, grâce à l’obtention d’une bourse, il est admis à l’institut Fra Angelico de Milan. De retour en Albanie en 1995, il enseigne l’histoire de l’art à l’Université de Shkodra durant deux ans, avant de fuir à Milan avec sa famille en raison de violentes émeutes dans le pays.

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Adrian Paci, « Le mariage », 2007 (détail de 20 panneaux). Gouache sur papier marouflé sur bois. 22×28 cm. Collection Jane Lombard. Un rite de passage!

Suite à cet exil qui le marque fortement, il abandonne peinture et sculpture momentanément et opte pour la vidéo afin d’expérimenter un nouveau  langage artistique. Il explore alors la notion de passage, cheminement physique d’un endroit à un autre, mais aussi instant charnière, la transition, le moment du changement de statut.

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Adrian Paci, « Albanian stories » (vidéo), 1997

Il filme sa fillette de trois ans en train de raconter une histoire et se rend compte qu’elle y intègre des éléments réels en rapport avec la guerre civile albanaise et leur émigration. Ces thèmes du réel et de l’imaginaire, de la mémoire, de l’histoire collective et de l’identité au travers de la migration seront les pivots de sa recherche artistique. Il s’inspire d’histoires de sa vie quotidienne pour les restituer de façon poétique et imaginative et, progressivement, s’en éloignera pour s’attacher à l’histoire collective, en lien avec les problèmes existentiels et sociaux de notre époque.

“Le fait d’être à la croisée des chemins, à la frontière de deux identités séparées, se retrouve dans toutes mes productions cinématographiques.” AP

 

Adrian Paci, « Centro di permanenza temporanea », 2007

La contradiction (permanence/temporaire) contenue dans le titre de l’oeuvre vidéo ci-dessus illustre ce thème existentiel de la recherche humaine. Métaphore du sort des migrants, mais aussi image de notre vie qui peut s’apparenter à une longue attente pour aller…nulle part puisque la mort en est la destination finale.

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Adrian Paci, « Secondo Pasolini » (Série),

A partir de 2006, Adrian Paci, fasciné par le cinéma de Pasolini, revisite ses films en peinture. Dans trois séries de douze tableaux, il isole des images et les retravaille, mettant en évidence le lien avec la peinture classique italienne.

 « Même si je suis surtout connu comme vidéaste, je suis en réalité peintre. Plus précisément, portraitiste. J’ai fait beaucoup de portrait entre dix et vingt-deux ans et, au lycée, avec mes copains, nous étions souvent à la recherche de modèles à dessiner. C’était toujours des gens de la rue, des vieux qui se promenaient pour tuer le temps. À l’atelier, ils s’asseyaient devant nous pendant des heures, sans pose spéciale. (…)J’ai travaillé sur ces visages pendant des années, en faisant des études au crayon, à la tempera et à l’huile, en modelant leurs rides, en déchiffrant leur regard, en reproduisant leur peau en peinture. » Adrian Paci, «Conversation avec Mirjam Varadinis».

Dans la série photographique ci-dessus, « Home to go »,  l’artiste porte le toit d’une maison sur son dos, métaphore de la tradition, de la culture, des racines qu’il transporte en quittant son pays. Un fardeau de responsabilité, mais aussi, peut-être, les ailes de l’espoir.

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Adrian Paci, « Passages », roue de bois peinte.

« Passages » est une série d’acrylique sur plâtre et d’aquarelles sur papier, une vidéo et aussi la peinture sur bois de cette immense roue. Elle présente des personnes se serrant la main, rituel et tradition des mariages ou des enterrements.

L’installation vidéo intitulée « The Column » a été réalisée pour l’exposition Vies en transit du Jeu de Paume ( Dossier ) à Paris en 2013, puis présentée à la Biennale d’architecture de Venise 2014. On y voit un bloc de marbre d’une carrière chinoise transporté et sculpté sur un bateau-usine par des artisans chinois. Le résultat, la colonne gréco-romaine est exposé à la sortie du visionnement. Un matériau arraché à son sol natal, transformé durant son transport, puis, culturellement reconnaissable par les habitants de ce nouveau lieu, déposé à terre et non érigé.

Ce travail d’Adrian Paci est une réflexion sur le temps, la mondialisation, la transformation, la culture, le mouvement, etc.

Il participe à la Biennale de Venise en 1999, est exposé au MoMa en 2005 et participe depuis à de nombreuses expositions personnelles ou collectives dans le monde entier.

Images : Sources diverses dont Kaufmann repetto, Milan, et Galerie Peter Kilchmann, Zurich. © Adrian Paci 2013

Transit  est la monographie de référence d’Adrian Paci aux Presses du Réel.

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Adrian Paci, « Back Home #2 », 2001, Fotografie Courtesy the artist and Deutsche Bank Collection. Famille d’immigrés photographiés devant le décor peint de leur maison d’origine.

 »  Le « chez soi » comme je l’ai dit, ce n’est pas seulement la maison, le toit, la famille ; c’est aussi un état de stabilité, de lien, d’affection et d’identification à quelque chose. Pour moi, le retour chez soi n’évoque pas la question de l’émigration, mais une question plus profonde sur la quête d’une stabilité perdue. » Adrian Paci

clandestinsAbandonner son foyer, son pays, ses racines est un déchirement. Le danger que ce passage implique est un risque que les migrants préfèrent tenter : l’alternative est une vie d’horreur et de souffrance. En Méditerranée, 3500 morts en 2014 et déjà plus de 2000 en septembre 2015! (source liberation.fr) Les raisons de cet exode sont depuis ces dernières années et pour une large majorité les persécutions subies dans leur pays d’origine. Et d’ailleurs, leur nature importe peu : ce que fuient les migrants économiques est la misère. Cessons de parler de « flux », parlons des êtres!

Et, parmi les mesures à prendre, il faut combattre les réseaux clandestins de passeurs sans scrupules.

Pour être reconnu comme réfugié au sens de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, l’individu requérant l’asile doit craindre d’être persécuté en raison de sa race, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un certain groupe social ou en raison de ses opinions politiques, et pour ces raisons, il ne peut ou ne veut réclamer la protection de son pays de nationalité ou de résidence (wikipedia )

« Parmi ceux qui traversent la Méditerranée, il y a aussi les migrants économiques, mais en 2013 et en 2014, fait nouveau, la majorité était des personnes qui fuyaient de réelles persécutions – de Syrie et Érythrée surtout – et qui ont donc besoin de protection », analysait Antonio Guterres, Haut-Commissariat pour les réfugiés. « Le drame est que ces personnes, faute de voies de migration légales, tombent aussi entre les mains des passeurs et de leur odieux commerce. Il faut garantir une protection à ceux qui y ont droit et réfléchir à de nouvelles voies de migration légale, qui permettraient de faire barrage aux passeurs » Janvier 2015

Un article de Guy Sorman dans le journal Le Monde du 3.09.2015:

« Les réfugiés d’aujourd’hui me rappellent mon père fuyant le nazisme. »

7 réflexions sur “Adrian Paci (1969) § Voies de migration légale

  1. Merci pour ce bel article, et cet artiste. Tout ce qui se passe est tellement triste et révoltant, et comme l’art sait bien dire ces exils, ces arrachements. Nous qui sommes parfois si mélancoliques en pensant aux lieux de notre vie…As-tu vu, Martine, le film d’Emmanuel Finkiel, « Nulle part, terre promise » ? Vu à Lyon à sa sortie ( 2009 ) avec mon amie, 4 personnes – dont nous 2 – dans la salle…Sur ce sujet, magnifique, je crois que ça te plairait…Ne pas regarder un jour de déprime, néanmoins.

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    1. Merci pour cette suggestion, je prends. Le cinéma ouvre de grandes portes. Enfin un certain cinéma…Oui, nous aussi pouvons ressentir la nostalgie des lieux de notre enfance, même s’ils ne sont pas éloignés. Les lieux, les personnes et les instants sont liés à jamais.

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    1. Ben tu vois, le hasard n’existe pas. En début de semaine, je cherchais un artiste sur le thème du passage, mais pour une toute autre raison que les migrants. D’habitude, je pars d’un artiste et je trouve le lien après.

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