Bien connu pour ses drapeaux américains revisités (Flags), Jasper Johns est né dans l’état de Georgie et passe son enfance, jusqu’à l’âge de 18 ans, chez ses grands-parents, puis chez sa tante et enfin chez sa mère en Caroline du Sud. Il ne bénéficie durant son enfance d’aucun accès à l’art. En 1949, incité par ses professeurs qui décèlent son talent, il débarque à New York pour étudier le design. Il y travaille comme décorateur et dessinateur publicitaire. Suivront deux ans de service militaire (guerre de Corée, Japon). A son retour en 1954, il rencontre Robert Rauschenberg (avec lequel il aura une grande histoire d’amour), John Cage, Merce Cunningham. Il détruit alors ses productions précédentes. L’oeuvre Flag naît de ces cendres.
Il définit alors ce qu’il ne veut PAS faire: éviter les motifs, les techniques et les procédés des autres peintres. Il use aussi de « citations »: Fasciné par l’oeuvre de Marcel Duchamp, Jasper Johns se réfère à Picasso dans les années 80. Il cite aussi plusieurs fois le Retable d’Issenheim de Mathias Grünewald.
Jasper Johns utilise de l’encaustique pour peindre ce premier Flag, une idée qui lui est inspirée par un rêve. Le choix de cet objet connu de tous, souvent vu mais rarement regardé avec attention, lui permet, dit-il, de travailler sur autre chose que le sujet. En effet, le drapeau des Etats-Unis d’Amérique, est si familier que le public s’interroge sur le bien-fondé de l’avoir peint. Puis vient la question : est-ce un tableau ou un drapeau? L’oeil voit, l’esprit sait : la mémoire le reconnait immédiatement. L’artiste n’a créé aucun dessin, il a seulement interprété : l’esprit voit un ready-made et c’est en s’approchant qu’il regarde une peinture. Il n’y a aucun contexte: l’oeuvre est all over, toute la surface est peinte. On devine le fond, encollé de papier journal, laissé légèrement transparent. La technique de peinture à la cire est rigoureuse et précise tout en conservant le côté fait-main dans les empâtements.
Ce que je voulais, c’est que ces choses soient tout de suite reconnaissables, pour que celui qui les regarde se concentre plutôt sur le travail qui a mené à la peinture. Jasper Johns
Dans le temps artistique, l’oeuvre de Jasper Johns se situe entre les mouvements de l’Action Painting et du Pop Art. Elle est qualifiée de néo-dadaïste. Flag est une « figuration non-figurative ».
En 1958, exposé par une galerie new yorkaise, deux de ses oeuvres sont achetées par Alfred Barr pour le MoMA et Jasper Johns devient immédiatement célèbre. A cette époque, le mouvement de l’expressionnisme abstrait s’essouffle et Johns remet la figuration au centre de l’art avec des plans plats et sans perspective: le drapeau, les nombres, la carte, la cible. Toute chose reconnaissable au premier coup d’oeil et qu’il traite en séries. Petit à petit, il y incorpore des objets: pinceau, tasse, mètre dépliant, membres… pour bien signifier que la peinture elle-même est un objet. Le Pop Art et son culte des objets usuels est né.
Que suggère le thème de la cible? Objet en rapport avec le monde militaire et les armes, c’est aussi un oeil fixé sur le regardeur. Elle pourrait inclure une notion autobiographique: Johns, homosexuel dans l’Amérique des années 50 et du McCarthysme, aurait pu se sentir la cible d’une hostilité considérable. Les quatre visages sont placés derrière un système de volets amovibles qui dissimulent ou révèlent. « Voir ou/et être vu » évoque les notions de public et privé d’une pertinence toute contemporaine. (uk.phaidon.com)
Jasper Johns et Robert Rauschenberg seront intégrés par André Breton et Marcel Duchamp à l’exposition internationale du surréalisme qu’ils organisent à Paris en 1959 (Duchamp en a scénographié cinq).
Jasper Johns explore inlassablement différentes techniques. Il revisite ses sujets par la sérigraphie, la reproduction de photos, les installations de néon, le métal, les motifs hachurés (cross-hatch), les objets en trois dimensions
La représentation entre en collision avec l’abstraction, le graphisme méticuleux avec les coups de brosse et les coulures. Il réalise aussi des bronzes d’objets usuels.
Cette sculpture de bronze est un moulage de ses pinceaux, peint ensuite en imitation de l’original: sculpture de peinture passant pour un ready-made!
« Study for skin » est une empreinte sur papier de son visage enduit d’huile, puis saupoudré de graphite.
En 1968 est créée la pièce « Walk around time », inspirée de l’oeuvre de Duchamp « La mariée mise à nu par ses célibataires même », chorégraphie de Merce Cunningham, musique répétitive de David Behrman, scénographie de Jasper Johns qui, avec la permission de Marcel Duchamp, reprend sept éléments de son « Grand Verre » en guise de décor. Reprise à Paris à l’Opéra Granier, en 2017: cliquez pour lire l’article de L’OBS.
Les années 80 marquent un changement des sujets de Jasper Johns, une envie de se dévoiler un peu : « Bien sûr qu’il s’agit de moi…mais ce n’est pas une histoire sur moi! »
« Racing throughts » tente d’illustrer les pensées « rapides » (ce qui pourrait être le flux de pensées) de l’artiste. Les robinets de la baignoire dans laquelle il se trouvait à ce moment et le pantalon suspendu sont les liens réels, les autres éléments sont des souvenirs ou des associations d’idées mémorielles. Le tout forme une sorte de puzzle figurant un instantané interne et personnel.(analyse en anglais)
En 1988, ses « Quatre saisons » lui valent le prix de la Biennale de Venise. C’est par Picasso qu’il est inspiré pour cette oeuvre, même si un portrait de Duchamp y serait intégré (le trouverez-vous?).
La recherche existentielle de Jasper Johns passe par l’art tantrique, l’oeuvre en miroir « Dancers on a Plane », aux multiples significations, en est inspirée.
Une caténaire est un cable qui relie et alimente deux objets en énergie. Après les drapeaux ou les cibles dont le sujet était une certitude, l’artiste explore ce concept, plus obscur, dans sa série Catenary. Un pont, une suspension, un lien, une chaîne… un mystère se dissimule dans les oeuvres de Jasper Johns, mais c’est un mystère qui expire la cohérence et inspire l’introspection. Une respiration.
Sur l’exposition qui a eu lieu à Londres à la Royal Academy en 2017: cliquer pour lire l’article (LesEchos.fr)
Sur l’oeuvre de Rauschenberg et celle de Johns: cliquez pour lire l’article (L’art moderne cours de l’UTL13).
Une monographie, Jasper Johns de Catherine Craft
Une analyse de l’oeuvre, par Maurice Tourigny
Dans l’oeuvre Racing Thoughts, Jasper Johns sonde l’expression de ses pensées. Mais comment fonctionne la pensée? Comment les idées se connectent-elles?
La pensée en arborescence ou analogique (utilisée pour la création) et la pensée séquentielle ou linéaire (utilisée pour la mise en oeuvre méthodique) peuvent être représentées en diagramme qui représente les connexions sémantiques entre les différentes idées, le dessin qui en résulte donne une carte heuristique ou carte mentale.
Ah ! j’aime ! ton article,ceux dont il parle et les idées qui s’en dégagent
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Merci Simone, il y aurait encore tant à dire…
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Très bel article ! A recommander absolument !
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Grand merci à vous, d’un artiste aussi prolifique et aussi richement créatif, il y a encore tellement à apprendre…
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Très intéressant, je découvre ses oeuvres contemporaines avec plaisir.
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Merci, je trouve aussi que l’oeuvre est plus intéressante lorsqu’on connait un peu la démarche de l’artiste.
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Merci beaucoup pour cet article très intéressant. Pour la découverte de l’artiste bien sûr mais aussi pour cette fenêtre sur les neurosciences. Il y a encore tellement de territoires à explorer. Leur lien avec l’art est passionnant. Bonne semaine 🙂
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Oui, Elisa, quelle chance de disposer d’outils informatiques pour explorer tout cela. Nous disposons actuellement de sources de connaissances phénoménales, c’est à la fois excitant, affolant, enthousiasmant, vertigineux … et frustrant: jamais nous n’en ferons le tour! Bonne continuation, Elisa.
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