Agnès Martin (1912-2004) § Ravissement

Agnès Martin © Photo : Gianfranco Gorgoni

Image d’en-tête: Agnès Martin, Friendship, 1963 ©2015 Agnes Martin/Artists Rights Society (ARS), New York

Des lignes horizontales, d’autres verticales. Des grilles, en fait. Régulièrement submergées de coloris subtils et translucides. Droites, sans sinuosité. Rien à voir avec la rivière Saskatchewan de sa naissance.

Vue aérienne du delta de la Saskatchewan. photo: Garth Lenz

Une enfance à Vancouver lui offre les plaisirs du sport, en particulier de la natation, sport qu’elle pousse jusqu’à être sélectionnée aux jeux olympiques de 1928, sans avoir les moyens d’y participer. Entre trois frères et soeurs, un père tôt disparu et une mère pour le moins rigide, dont elle pense être détestée, Agnès Bernice Martin a tout juste vingt ans quand elle quitte le Canada pour les Etats-Unis et reprend des études qui lui permettent d’enseigner, puis des études universitaires à Columbia et ses premières études de maîtrise en Beaux-arts à l’Université d’Albuquerque au Nouveau-Mexique, où la ville de Taos lui plaît beaucoup. Elle assiste à des séminaires zen et se rapproche du bouddhisme. Elle peint des portraits et des natures mortes. Elle prend la nationalité américaine en 1950.

Agnes Martin, Self-Portrait (Autoportrait), v.1947, encaustique sur toile, 66 x 49,5 cm, collection privée. © Agnes Martin / SOCAN (2019).

Ses peintures biomorphiques de cette période lui valent une certaine renommée. Elle participe à plusieurs expositions au Nouveau-Mexique.

Agnes Martin, Untitled (Sans titre), 1953 Huile sur toile (85,4×120,7 cm) © Agnes Martin / SOCAN (2019)
Agnes Martin, Desert Rain (Pluie dans le désert), 1957, huile sur toile, 63,5 x 63,5 cm, collection privée. © Agnes Martin / SOCAN (2019).

En 1958, retour à New York à l’invitation de Betty Parsons (célèbre galeriste) qui lui offre une exposition personnelle. Agnès Martin s’installe à Coentis Slip (quartier sud Manhattan) dans un loft, non loin de Robert Rauschenberg, Jasper Johns et James Rosenquist. «l’une des rares enclaves artistiques principalement queer en Amérique» a dit un historien (J.Katz). Amie de Robert Indiana, inspirée par Rothko et Reinhardt, Agnès Martin dit avoir atteint sa maturité artistique vers 1960 : « un format carré  identique (182,88 x 182,88 cm); une toile apprêtée avec deux couches de gesso; des lignes de crayon dessinées à la main; de fines couches de peinture, d’abord des huiles, puis de l’acrylique, qu’elle préférait car il était beaucoup plus rapide à sécher. «  Une méthode acclamée par la critique durant cette période où l’expressionnisme abstrait faiblit.

« Je pensais à l’innocence, et soudain je l’ai vue dans mon esprit — cette grille », dit-elle à la critique Joan Simon

Agnès Martin, The Islands, 1961. Huile et graphite sur toile (182,88×182,88 cm) © Succession Agnes Martin / SODRAC (2018) Photo : Pace Gallery

La démolition du quartier Coentis Slip est prévue pour 1967, Agnès Martin décide alors d’abandonner le monde de l’art trop agité pour elle. Elle détruit ce qui se trouve dans son atelier avant de s’en aller.

« Je suis instable et je veux essayer de ne pas parler pendant trois ans. Je veux vraiment le faire. « (lettre à un curateur, 1967) «Je m’intéresse à une expérience sans paroles et silencieuse, et à son expression dans une œuvre d’art qui est également sans mot et silencieuse. »

Agnès Martin, Sans titre no 16, 1965

Tôt diagnostiquée schizophrène, son état mental n’est pas étranger à son attitude. Elle sillonne le canada et l’ouest des USA en camionnette et caravane, puis retourne s’installer au Nouveau Mexique, où elle construit elle-même sa maison, voyage (1965, bateau vapeur autour du monde: l’Inde la bouleverse), écrit et retrouve une forme de sérénité. Malgré plusieurs expositions organisées durant son exil, elle dessine, mais ne peint rien durant sept ans.

Imprégnée des enseignements taoïstes chinois et du bouddhisme zen, elle intègre sa pratique mentale à son art. Son protocole de création, systématique et rigoureux, nécessite le retrait d’un geste libre. Cette technique formaliste inspire les artistes minimalistes, pourtant Agnès Martin, par l’aspect sensible de son travail, se réclame de l’expressionnisme abstrait: elle veut représenter des états d’être, des émotions, sans mysticisme ou spiritualité. C’est l’innocence qu’elle recherche dans ses compositions all-over. « ralentir jusqu’à la vitesse où il est possible d’explorer son propre esprit ». Elle se livre à une sévère autocritique et détruit beaucoup de ses essais.

«On pense généralement que tout ce qui est peut être mis en mots. Mais il y a un large éventail de réponses émotionnelles que nous faisons qui ne peuvent être exprimées en mots. Nous sommes tellement habitués à faire ces réponses émotionnelles que nous n’en sommes pas conscients tant qu’elles ne sont pas représentées dans les œuvres d’art. »

In « Beauty is the mystery of life », 1989; a lecture by Agnes Martin, Carnegie Museum of Art, Pittsburgh. Source: https://quotepark.com/fr/auteurs/agnes-martin/?page=2
Agnès Martin, Paintings and Drawings 1974-1990 , 1991 complete set of ten lithographs, on vellum transparency paper (29,8 x 29,8 cm). Source artnet

Dans son travail, la répétition du geste est semblable à une préparation à la méditation. Ce qui  demande au spectateur une autre répétition, celle de son regard et suscite le vide de l’esprit. Qui a dit que son travail était « sublimement inexpressif »? Un travail sur la perfection qu’elle dit loin d’être parfait. Un travail qui ne porte pas vraiment sur la Nature, mais sur l’esprit de la Nature. 

En 1973, elle réapparait avec A Clear Day (Un jour clair) une série de trente sérigraphies (portfolio 30 dessins). Parait cette année-là, son recueil « La perfection inhérente à la vie » (« On the Perfection Underlying Life »), une tentative de formulation de ses idées sous forme de monologue intérieur. Un recueil d’aphorismes, de conférences, de poèmes et de paraboles, un itinéraire de l’errance et de la perfection.

Agnès Martin, New Mexico 1974 (encre sur papier Japon)

« Mes pièces n’ont ni objet, ni espace, ni ligne, ni rien – aucune forme. Ce sont la lumière, la légèreté, la fusion, l’informe, la décomposition de la forme. Vous ne penseriez pas à la forme au bord de l’océan. Vous pouvez entrer si vous ne rencontrez rien. Un monde sans objets, faisant une œuvre sans interruption ni obstacle. C’est accepter la nécessité de cette entrée simple et directe dans un champ de vision comme on pourrait traverser et vider la plage pour regarder l’océan. » Source citations

En 1976, elle achète une caméra et filme en plein air. C’est Gabriel, un film silencieux qui explore le bonheur, l’innocence et la beauté, ces émotions abstraites dont on peut faire l’expérience, selon elle, à travers la contemplation du monde naturel.

Agnès Martin est récompensée du lion d’Or de la Biennale de Venise pour l’ensemble de sa carrière en 1997. Elle est l’une des grandes artistes du vingtième siècle.

Voir ICI les oeuvres de la série « Le dos au monde », 1997

Source biographie & Biographie très détaillée, site de l’Institut de l’art canadien par , directeur des expositions au Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa.

Vue de sept toiles de Martin et des bancs jaunes créés par Donald Judd dans une galerie conçue sur mesure par Agnes Martin, 1993-1994, Agnes Martin Gallery, Harwood Museum of Art, Taos, Nouveau-Mexique, photo de Tina Larkin.

L’humilité, la belle enfant

Elle ne peut faire ni bien ni mal

Elle ne fait rien

Elle est entièrement vide

Infiniment légère et délicate

Elle suit un sentier régulier

Douce, souriante, ininterrompue, libre

(extrait d’un poème de l’artiste tiré du recueil « La perfection inhérente à la vie »)

 

§

Ravissement : 1/Action d’enlever de force. 2/émotion éprouvée par une personne transportée de joie. 3/extase mystique.

Une artiste peintre dont les oeuvres, croisées dans les musées, m’ont souvent interrogée et intriguée. Habituellement pas vraiment attirée par les pièces qui se parent de géométrie, j’ai voulu en savoir plus sur la personne de l’autrice. Me pencher sur sa biographie, lire ses citations et approcher ses intentions. Il est évidemment impossible de réaliser ce que sont réellement ses pièces à partir de photographies. Mais la prochaine fois que vous croiserez une oeuvre d’Agnès Martin, vous tenterez peut-être de vous y plonger et capterez ce ravissement évoqué par l’auteur du blog « Le Beau Vice »:

Son aperçu de la rétrospective Agnès Martin qui a eu lieu en 2017 au Musée Guggenheim de New York (lien sous la photo)

http://le-beau-vice.blogspot.com/2016/11/i-want-dyke-for-president-ravissement.html

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