Biennale de Venise 2024 (part.II: mardi)

Mardi Giardini! J’aime ces déambulations entre les pavillons nationaux. On y découvre des surprises, de celles qui font réfléchir ou qui emballent par l’esthétique, on passe de l’étonnement au dégoût, de l’émerveillement à l’inconsistance, mais la banalité y est rare pourtant. Voici donc, dans un certain ordre préférentiel, quelques-uns des pavillons du site des Giardini. Il y en a d’autres dans la ville et à l’Arsenale et je ne les ai évidemment pas tous vus. Tous les pavillons sont répertoriés ICI.

Foreigners Everywhere

Je ne suis pas nationaliste, mais je ne réfute pas pour autant ma nationalité! Le pavillon suisse est une merveille de drôlerie et de talent. Il fallait bien un soupçon de Brésil pour y arriver. Merci Guerreiro Do Divino Amor!

Il miracolo di Helvetia. Voir la video

Visage à la Janus pour la déesse mère qui règne sur son Olympe superfictionnelle. Contrôle, optimisme, opportunisme, elle supervise son pantheon et domine avec une discrétion calculée. Nous entrons ensuite dans le sanctuaire des gouvernantes, ce temple où un montage vidéo projeté sur le plafond de la rotonde présente les déesses helvétiques imprégnées des stéréotypes les plus communs, mais aussi d’une certaine évidence historique. Les mythes exacerbés d’une Suisse « paradisiaque »… (Voir un extrait)

Il y en a évidemment douze, chacune s’occupant d’un domaine olympique (et non olympien), valeurs mythiques suisses. Friedena la bienveillante, muse des oeuvres de bienfaisance; Scopula la parfaite, messagère de l’évangile helvétique superpâle; Gudruna la vaillante guerrière qui hante les entrailles de l’Olympe; l’austère Calvina, la jonction entre morale, spiritualité et mathématique; la calviniste Aevuma, contrôleuse du temps et de l’espace; Desideria Remota toute de pureté et simplicité hygiénique et Desideria Patria, la gardienne des valeurs et de la beauté, toutes deux construisant un monde de sécurité et de confiance; Seminatora la négociatrice; Venuma l’opportuniste cocaïnomane; Nidustia la chérubine agroalimentaire; Kulma l’éducatrice de l’élite; Diewiesa Aeterna reine des biotechnologies. (autre extrait vidéo)

Il faut savoir que ce travail est le dernier de six chapitres créés par l’artiste en une quinzaine d’années (présentation du Centre d’Art contemporain Genève). L’ensemble est intitulé Superfictional Sanctuaries.

Un couloir satiné de rose, réminiscence du Hon de Niki de Saint-Phalle et nous débarquons chez Roma Talismano, la Louve, la Femme, la Mère, l’italienne, la chrétienne. Elle est, dans ce lieu, entourée de vidéos et d’éléments dignes de l’intérieur d’un juke box géant.

Couloir donnant sur l’hologramme de Roma Talismano

Le riche journal publié et offert par l’artiste et le pavillon suisse évoque cette déesse en poétisant ses fonctions:

Ô Talismano, tu serais la dernière planche de salut d’une civilisation désenchantée. La foule vient prier à l’autel d’un classicisme généalogique imaginé. Enfoncer ses ongles dans le cuir épuisé et suce, suce le lait paternel putréfié.

La voilà dominant le pavillon aux côtés du drapeau suisse

Ironique, baroque, démesuré, enfin une biennale qui offre un pavillon suisse hors-norme et frappant. Le kitsch ne m’attire pas, mais la fiction et le récit que Gerreiro Do Divino Amor a composé est une imagerie critique et hilarante déconstruisant les mythes avec humour et perspicacité.

La Suisse se présente toujours comme un endroit miraculeux. J’ai voulu comprendre quelles étaient les pièces de ce miracle. Parmi celles que j’ai répertoriées, il y a au moins quatre ou cinq villes qui proclament être ‘la Suisse du Brésil’. Plus qu’un pays, la Suisse est un concept de perfection et d’apothéose de la civilisation et cela m’intéressait beaucoup d’aller voir comment cela s’est construit. Guerreiro Do Divimo Amor (source)

Le deuxième pavillon qui m’a beaucoup plu nous en met lui aussi plein les mirettes! Le pavillon des Etats-Unis arbore des couleurs flashy dès l’extérieur. Peut-être n’y a-t-il pas une immense innovation dans son esthétique, mais j’ai aimé les messages à décrypter et l’univers bariolé et gai de Jeffrey Gibson, premier artiste autochtone issu de peuples natifs Choctaw et Cherokee à représenter les USA. « L’espace où me placer » raconte un idéal empathique et démocratique dont ce pays auraient bien besoin. Sculptures, peintures, vidéos et installations participent de cet élan vers la diversité des identités.

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Plus technique et techno, le pavillon de la Hongrie est lui aussi très coloré (après ce long printemps brumeux, je devais avoir besoin de couleurs…). Lumière, couleur, mouvement, son s’épousent pour une ambiance Techno Zen. L’artiste Marton Nemes, après ses compatriotes Vasarely et Hantaï,  rejoue une abstraction qu’il accommode à la sauce psychédélique, composant un pavillon en forme de T impressionnant. La musique accordée à l’oeuvre plastique m’a fait pensé au film vu dans l’expo Julie Mehretu: jazz ou techno se liés intimement au travail du plasticien.ne

Le pavillon français ne m’a pas vraiment saisi, mais il forme un univers plaisant à visiter. C’est Julien Creuzet, un artiste franco-caribéen, qui s’y colle avec dès la façade extérieure, une vidéo démontant la parisienne « Fontaine des quatre-parties-du-monde« , monument d’une époque de colonisateurs.

C’est pourtant un univers intéressant que propose l’artiste (Attila Cataracte…). Cette riche installation est composée d’enchevêtrement, de filets, de déchets, évoquant des fonds sous-marins blessés. De superbes vidéos prolongent l’effet d’immersion montrant des êtres hybrides au son de chants et de poèmes. Des bassins et des senteurs émaillent la visite et je voudrais y retourner pour mieux apprécier le travail de cet artiste martiniquais.

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Le lion d’or est revenu au pavillon australien (Kith & Kin). Investi par le plasticien Archie Moore (1970), il présente dans une semi obscurité, une immense table remplie de dizaines de piles de documents bien rangés placée au-dessus d’une mare d’encre. Ce sont les rapports bureaucratiques d’enquêtes officielles sur les centaines de décès d’aborigènes en détention. Sur les parois noires de la salle, l’artiste a inscrit à la craie un arbre généalogique géant remontant à 65000 ans. Un travail d’écriture minutieux ayant duré  des mois, inscrivant les parentés humaines ancestrales et universelles. Impressionnant et évocateur.

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Le pavillon japonais est toujours excellent. Yuko Mohri y a installé des systèmes réparant des fuites d’eau avec n’importe quels ustensiles ménagers! A Venise, cela peut être utile… elle place aussi des fruits en décomposition, leur insérant des électrodes dont les signaux électriques modulent les sons et la lumière interne du pavillon. Tout cela donne une salle d’une étrangeté bien rangée et bordélique à la fois, une impression d’abandon à l’odeur de moisissure, contrôlée avec les moyens du bord par de multiples et fines tuyauteries.

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La Russie ne participe pas. Le pavillon israelien reste fermé « En solidarité avec les familles des otages et la grande communauté en Israël qui appelle au changement, l’artiste (Ruth Patir) et les curatrices du pavillon israélien ouvriront l’exposition lorsqu’un accord de cessez-le-feu et de libération des otages aura été trouvé ».

Il n’existe malheureusement pas de pavillon palestinien à la Biennale puisque la Palestine n’est pas considérée comme un Etat. Une oeuvre de Samia Halaby et une de Dana Hawartani sont exposées, la première au pavillon central, la seconde à l’Arsenale.

Samia Halaby, Black is Beautiful (1969 ; huile sur toile, 167,5 x 167,5 cm). Photo : Matteo De Mayda

En vitesse, quelques autres pavillons marquants:

Une comédie musicale incroyable filmée pour le pavillon égyptien

Vue de l’installation de Wael Shawky au Pavillon égyptien. © Connaissance des Arts / Elisabeth Couturier

Le pavillon des Pays-Bas expose des sculptures dont la vente permettra aux travailleurs congolais des plantations CATPC, basé à Lusanga, de se réapproprier leurs terres au sens à la fois culturel et réel.

Au pavillon du Brésil, l’installation de Ziel Karapotó associe cartouches et maracas, confrontant les processus coloniaux.

Le pavillon allemand a convié Yael Bartana et Ersan Mondtag, l’exposition s’intitule Tresholds (seuils) et explore des scénarios de fictions historiques.

Le pavillon de la République de Corée a fait dans le minimalisme spatial: peinture de parois, parfum et une sculpture en lévitation.

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