« A toi de faire, ma mignonne » Sophie Calle

L’exposition de Sophie Calle au Musée Picasso est prolongée jusqu’au 28 janvier 2024!

Cette exposition ne peut que plaire et enthousiasmer les foules, même celleux qui n’auraient jamais entendu parler de cette artiste formidable doublée d’une conteuse d’histoires passionnante. Voilà de l’art contemporain qui plaira!

Sur quatre étages, on y trouve en effet des histoires vraies, des photographies, des toiles de Picasso emballées, des objets personnels de l’artiste, des oeuvres d’autres artistes offertes à Sophie Calle, une collection de romans noirs, des descriptions de tableaux et de photographies, des aveugles, des paroles de gardiens de musées, des tombeaux de secrets, des confidences aigres-douces, des annonces écrites de la main de l’artiste, un film hilarant starring Sophie Calle, des animaux empaillés, l’énumération des lots d’un catalogue Drouot, une enchère à faire pour un plat signé Picasso et j’en passe!

« Tu les as bien eu! » s’exclama sa mère lorsqu’elle vit l’une des oeuvres de sa fille exposée au MoMA entre un Hopper et un Magritte.

A quoi ça tient une carrière d’artiste? Un des dessins d’enfant de Sophie, 6 ans, encadré par son père fit dire à sa grand-mère qu’il y avait un Picasso dans la famille. Voilà un exemple de ce qui nous attend dans cette exposition. Picasso, lui, assure qu’il n’a jamais fait de dessin d’enfant et que, dès ses 6 ans, il copie des oeuvres en de « vrais » dessins.

La mémoire de Sophie Calle est son premier levier. Elle transforme sa réalité en fiction tout en créant des fictions qu’elle va transformer en réalité.

L’idée d’emballer les toiles de Picasso lui vient lors de son deuxième rendez-vous préalable à l’Hôtel Salé. Durant le confinement les oeuvres ont été protégées, il était uniquement possible de lire les cartels descriptifs. L’oeuvre célèbre et intimidante de Picasso se résumait alors à un effort de mémoire, au souvenir visuel qui restait.

L’artiste n’utilise d’ailleurs pas uniquement sa propre mémoire, mais aussi celle des autres: gardiens de musée, regardeu.r.se.s, aveugles, voleur de tableau, anecdotes d’écrivains, ses propres parents, etc. Elle est fascinée par la disparition, l’absence. Que ce soit la mort elle-même, le vol, l’échec, le secret, la vision, l’empaillage, etc. Elle cherche à montrer ce qui est caché, ce qui a disparu et ce qui est tu.

Elle convoque même des fantômes…

Fantômes de tableaux de Picasso, les oeuvres sont recouvertes d’un rideau de tulle laissant juste apparaître une image floue et diaphane au travers du texte brodé, description souvenir de l’oeuvre par des gardien.ne.s du musée.  » Il y a le pôle de celui qui fait une œuvre et le pôle de celui qui la regarde. Je donne à celui qui la regarde autant d’importance qu’à celui qui la fait. » déclarait Marcel Duchamp. La fonction du regard est le fondement de cette exposition.

Ou encore des tableaux volés, disparus, dont on a choisi de laisser le cadre nu à la place qu’il occupait. Celui-ci, un Rembrandt,  dans un musée de Boston. Permanents et visiteurs expriment leurs souvenirs de l’oeuvre.

27,0824 mètres carrés (la surface de Guernica). SC reporte cette surface sur une des cimaises du musée et y accroche, bien serrées, des oeuvres d’artistes de sa collection personnelle. Un accrochage hallucinant composé d’oeuvres rares mêlant l’éclectisme à l’incongruité. Et c’est formidable.

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Evidemment, lorsque le souvenir et la mémoire tiennent une si grande place dans l’existence, dans la motivation artistique et philosophique, Sophie Calle s’affiche comme collectionneuse compulsive. Les objets avec lesquels elle vit sont donc exposés sur un étage et c’est ici que l’on aimerait rester des heures tellement il y a de choses à voir, tellement son regard et son âme sont présents. De plus, sa voix nous commente les conditions liées à l’acquisition des différents lots, « les histoires qui sont sous les objets », celles qui selon elle, méritent un récit subjectif.

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Puis, dans une autre salle, une vidéo d’un comique abouti, sont présentées celles qui méritent une description selon le catalogue des ventes de l’Hôtel Drouot. Là, on découvre une Sophie Calle muette et amusée, assistant aux choix de dénominations et d’estimation des lots des experts.

Autre lieu, où un texte nous révèle la raison qui a déclenché la prise de la photographie, puis nous découvrons l’image elle-même par le geste de soulever le voile.

La façon toute personnelle qu’elle a de se souvenir de ses parents fait écho, j’en suis sûre, à celle que tout un chacun retient des siens, de leurs derniers moments, derniers mots, dernières impressions, d0t un film de 11 minutes tourné dans la chambre mortuaire de sa mère. Toute une poésie en découle, des signes y sont révélés. Rien de morbide pourtant, de l’humour, du réalisme mêlé à de la poésie. Une forme de respect et de proximité se transmettent par l’inéluctable.

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A l’inverse de Picasso, qui n’en a pas fait disant que « ça attire la mort » ( ou serait-ce plutôt pour conserver l’emprise totalitaire qu’il détenait sur son entourage? écouter le podcast sur Vénus s’épilait-elle la chatte?). Sophie Calle accumule les testaments, le dernier annulant le précédent. Elle a également commandé sa nécrologie à un spécialiste (exposée mais non lisible) et fait sculpter son cénotaphe (image d’en-tête et de fin de chronique).

Cette collection de romans noirs dont les titres décrivent en deux mots la plupart des travaux de Sophie Calle est fascinante. Qui d’autre qu’elle aurait été capable de découvrir cette contingence?

Tout comme cette inscription découverte derrière le tableau de la Joconde… dont elle mime la posture. Une photo encadrée par du simple carton d’emballage. Modestement, mais fièrement.

L’inachèvement est le thème de la dernière salle. Ce sont des idées et des débuts d’accumulations de documents dont elle explique les raisons qui l’ont empêchée de les terminer. Encore une similitude avec l’oeuvre et le concept duchampien: le hasard, le jeu de mot, la coïncidence, la rencontre fortuite, l’inachèvement comme aboutissement, l’essai et l’échec comme imparables de l’action artistique.

Et ce beau geste, comme un rattrapage empathique dédié à l’artiste égocentrique dont elle a, avec panache, piqué la place.

Une exposition où il faut prendre son temps, où les mots et les textes sont aussi nécessaires que les images, où l’atmosphère si personnelle de l’artiste envahit l’espace. Merci Sophie Calle de nous prêter ainsi cet accès temporaire à votre âme. Dossier documentaire de l’exposition

Serena Carone (1958- ), Le Cénotaphe de Sophie, 2017 Loup blanc naturalisé, collection Sophie Calle

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