« Allegretto » François Gremaud

Théâtre de Vidy du 16 au 22 juin 2024

Ne manquez jamais un spectacle signé François Gremaud. Qui que vous soyez, vous ne serez pas déçu.e.s.

Comme à mon habitude, j’ai rempli quelques pages de mon petit carnet durant la représentation, impression sécurisante de conserver la trace d’un moment de théâtre, éphémère par définition…. Pourtant, je n’écrirai rien sur la narration de la pièce. Il faut le voir, l’entendre pour en apprécier le sel et le sucre. Le voir pour ses déplacements sur scène, pour le mime formidable qui est en lui, pour l’imagination qu’il suscite dans les têtes du public; l’entendre ou plutôt l’écouter, pour cette façon toute personnelle de créer l’attention, avec tendresse, avec humour; pour son talent de conteur, capable de conquérir des foules bigarrées de spectateurices de tout poil. Il manie l’art de la narration avec générosité, tel un enchanteur ou un griot. Seul au mitan de cette scène nue, juste accompagné d’un piano à queue et de l’enfant de sept ans qu’il fut lui-même. Il nous émeut, il nous amuse, il nous rassemble dans l’humour et dans la culture, qu’elle soit pop ou avec un grand C. Il a le chic pour partager les oeuvres éternelles de l’Humanité et nous en dévoiler les beautés avec légèreté et esprit.

Je partage donc ici sa note d’intention en vous incitant, si vous ne l’avez déjà fait, à  assister à cet Allegretto qui rend allègrement bienheureux, ainsi qu’à d’autres de ses nombreux spectacles : la trilogie Phèdre!/ Giselle…/Carmen., Aller sans Savoir où (son processus créatif), Pièce sans acteurs, Pièces et toutes celles du collectif Gremaud/Gurtner/Bovay, sans oublier l’extraordinaire Conférence de choses.

Frayn

Mon ambition, dans ce spectacle, est de partager avec le public quelques notes de musique, et plus précisément celles de l’Allegretto – le second mouvement – de la 7e symphonie de Beethoven.

Pourquoi cette musique en particulier ?

Rappelons qu’un allegretto (diminutif d’allegro – qui, en italien désigne quelque chose de gai, de joyeux, du latin alecer qui en français a donné allégresse) – est en musique un mouvement en principe plutôt vif – plus lent que l’allegro, mais plus rapide que le moderato.

J’écris « en principe », puisque dans le morceau qui nous occupe, Beethoven modifie le mouvement original pour transformer son allegretto en une façon de marche funèbre, qui – selon moi – révèle et affirme la dimension tragique qui, inéluctablement, accompagne sans pour autant l’altérer l’idée-même d’allégresse.
En 1812, Ludwig a 41 ans. Il commence à devenir sourd, mais il ne l’est pas à la marche du monde. Il s’inquiète de l’issue de la guerre qui déchire l’Europe, dans la terrible période de la campagne de Russie.

Mais plutôt que de baisser les bras face à l’horreur, comme nous pourrions parfois être tenté·es de le faire, Beethoven compose.

Et notamment, donc, cet Allegretto, qui à mes oreilles exprime, mieux que les mots ici ne sauraient le faire, un sentiment qu’il a profondément ancré en moi lorsque je l’ai entendu pour la première fois, à l’âge de 7 ans, dans la dernière scène d’un improbable film de science-fiction des années 70, Zardoz de John Boorman.

Afin de permettre au public d’appréhender « au mieux » le sentiment qu’en moi a éveillé la musique, je vais – d’abord seul en scène – raconter ce film pour le moins « original » (dans toutes les acceptions du mot), considéré par mon papa physicien comme un chef-d’œuvre, contre l’avis de la critique qui le considère au mieux comme un nanar.

Ainsi, plutôt que de – comme dans Phèdre !, Giselle… et Carmen. – défendre une œuvre considérée comme une pièce maîtresse de son genre, j’entends dans Allegretto rendre hommage non pas seulement à l’une des plus belles pièces musicales du répertoire classique, mais aussi à l’une des productions parmi les plus singulières, étonnantes et – j’ose l’adjectif puisqu’il est l’ambition première de ce spectacle – réjouissantes de la pop culture.

François Gremaud

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