Au Musée Cantonal des Beaux-Arts de Lausanne du 18.06 au 12.09.2021
Commissariat de l’exposition Nicole Schweizer, assistée de Elisabeth Jobin.
En 1963, Nam June Paik est considéré comme le premier artiste du mouvement de l’art vidéo. Jean Otth, lui, est LE pionnier de cet art en Suisse. Cette rétrospective propose un survol de son travail, commencé dès la fin des années 60, toutes techniques confondues. Cinquante ans de création en peinture, dessin, projection, manipulation d’images, où l’expérimentation est le maître mot.
Après ses études d’art, Jean Otth explore la peinture sur toile et sur miroir. La salle 1 montre une peinture au sable sur panneau très douce et lumineuse ainsi que trois peintures sur miroir fascinantes. Impossible de photographier sans reflets, il faut aller les voir sur place. Je les imagine face à une fenêtre, renvoyant la lumière du moment, se transformant d’heure en heure. Plus loin, des paysages incrustés de formes géométriques évoquent un univers de science-fiction, et m’ont rappelé le roman Dune de Frank Herbert, publié à la même époque. Des images qui semblent déjà être habitées par le mouvement.
Son travail sur la vidéo, médium artistique novateur en ces années 1970, n’est pas exempt de dessins au spray ou de ce qu’il nomme des « oblitérations », masquant certaines parties de l’image. Plusieurs oeuvres sont projetées dans cette première salle qui réunit une décennie de recherches. Le guide de visite nous apprend que le mythe platonicien de la caverne fut une inspiration thématique pour l’artiste dans son exploration de « l’objet, l’idée de cet objet, son image et son ombre, sans oublier la lumière ni même la source de celle-ci ». Et cette source est souvent le corps du modèle, d’où surgit embrasement et sensualité.
« Le Portillon de Dürer » ou « Académie vidéo » (1976) montre le modèle et simultanément l’artiste en train de tenter de saisir ses lignes sur un miroir placé face caméra. Il voit et il fait. Nous le voyons en train de faire. Citant l’histoire de l’art, l’artiste nous offre son regard, son geste artistique et sa tentative de représentation.

La salle 2 affiche des travaux depuis 1980. Dessins, peinture au spray sur diapositives projetées, collages, installations, autant de moyens d’explorer, de détailler pour mieux saisir le réel.

Une console déploie quelques-unes des « Partitions » de Jean Otth, par lesquelles l’artiste consigne par écrit les instructions de ses actions, tel.le Yoko Ono (Fluxus) ou John Armleder (Ecart). Des cahiers et des notes de belle facture permettant à d’autres exécutants de reproduire l’oeuvre au plus près, sans la présence de l’artiste. Dans l’air de ces années 80.
La salle 3, plongée dans une semi obscurité, magnifie les projections qui s’y trouvent. Le « Miroir ovale », par exemple, est d’un érotisme subtil. L’oeuvre consiste en une projection en couleur du modèle filmé sur un ovale noir peint sur le mur. Seule la bordure en est vraiment visible bien que peu compréhensible. L’oeil, du bien nommé regardeur ou de la regardeuse, cherche alors à compléter sa vision et, s’habituant à ce trou noir, devine peu à peu le corps englouti qui s’y cache.

Toujours se plaçant entre abstraction et figuration, image fixe et mouvante, réalité et représentation, l’oeuvre de Jean Otth révèle une variété saisissante de points de vue, de déplacements de regards, de visions dirigées par le geste de l’artiste. En trois salles, les visiteu.se.r.s ont accès à la perception condensée de l’évolution d’une pratique artistique. Les outils se spécialisent avec le temps, mais la cohérence de la totalité de l’oeuvre reste intacte.

