« Nostalgies » au musée Forel

Exposition et évènements du 16.10.2021 au 13.03.2022, Musée Alexis Forel, Morges

Le saviez-vous? le terme de « nostalgie » est un néologisme forgé par un médecin suisse, Hofer, en 1688 à partir de deux racines grecques: « nòstos », le retour et *Algòs », la douleur. Un mélange de tristesse et de douceur lié au souvenir de nos origines.

Réunis par le directeur du musée Yvan Schwab, les artistes exposés au musée Forel ont tenté de transcrire ce qui incarnait pour eux cette notion intangible de séparation (allant parfois jusqu’au deuil) d’avec son pays, son enfance, ses racines. Peinture, photographie, installations sonores, narrations, autant de domaines qui font surgir en nous la réminiscence de ce sentiment diffus.

Le livret de visite, magnifiquement illustré par l’artiste Albertine, propose définitions et anecdotes sur ce mot et présente brièvement biographies et inspirations des artistes.

Albertine, « Nagori », 2021

Nagori, « l’empreinte des vagues » en japonais, c’est la trace inframince d’un moment perdu à jamais. Pour Albertine (1967), la nostalgie n’est pas triste, mais silencieuse et un peu vaporeuse. L’artiste nous invite dans un univers bleu et solitaire, quelquefois contenu par des arbres touffus et majestueux.

Vue globale des tableaux d’Albertine

Julie Chapallaz évoque le drame de ces jeunes filles entre 9 et 22 ans, issues de familles modestes, arrachées à leur foyer et placées comme domestiques loin de chez elles, dont certaines commirent des horreurs dans le but d’être renvoyées chez elles. Des images puissantes, composées de chablons et réalisées à l’encre.

Julie Chapallaz

Cathia Rocha revient sur ses origines portugaises à partir de photographies familiales. Elle les redessine au stylo bille bleu, faisant apparaître autant le blues de la nostalgie que l’azulejos, carreau de faïence portugais.

Anouchka Perez  a cousu, découpé et réassemblé ce chiffre mouvant qui détermine aléatoirement la population mondiale. Broder ce nombre, c’est réaffirmer un art auparavant minimisé car réservé aux femmes, sans lesquelles la continuité de l’espèce s’éteindrait. C’est la volonté de réunir la communauté humaine, d’en déterminer le NOUS absolu. C’est aussi travailler le tissu, un matériau qui protège et réchauffe, à l’aide d’outils perçants, pouvant blesser, pour en faire une création monumentale reliée par la fragilité de fils suspendus.

Martial Leiter nous convie à un voyage en train imaginaire où les images fulgurantes du paysages disparaissent à peine entrevues, telles des souvenirs fluctuants. Dans l’exécution comme dans le rendu, c’est la vitesse qui s’exprime, rythmée par les verticales des arbres et des poteaux. Poétique et délicat comme le vestige d’un instant.

Claire Nydegger présente un panorama de Rome, une gravure sur bois de 2,34 m en rouge songue di bue typique du Rome des années 80.

Corinne Kramer nous place face aux reflets d’images aquatiques, illusions de la réalité végétale des berges du Boiron. Ses dessins au fusain et à la pierre noire délimitent la surface de l’eau comme point d’appui au mirage mouvant du souvenir, entre réalité et mémoire flottante.

Nathalie Mouchnino joue avec l’accrochage des Icônes présentes dans cette salle. Elle peint de subtils fossiles aux teintes organiques, traces du vivant disparu devenues empreintes éternelles, telles des sculptures de nostalgie.

Marc Desplos & César Lador évoquent l’Odyssée avec un tableau de textes illustrés faisant écho au dit de la « douleur du retour » d’Homère. Un recueil de ces 24 textes accompagnés de leurs illustrations accompagne l’exposition.

Marc Desplos & César Lador

Olivier Saudan (1957), durant les semaines de confinement, peint pour revoir ce qui lui manque tant, pour faire exister des lieux devenus inaccessibles. Et reconquiert des tracés de son enfance. Ses formes brutes exacerbées par le format monumental des oeuvres habillent la grande salle d’une sobriété rustique, éloge de liberté.

Lui fait face une installation faisant émerger la figure de la déesse Diane. Un texte poétique de Dorothée Thébert, « Les Dianes »,  apologie du féminin et constat d’effondrement sociétal, est inclu dans l’ouvrage (Nost_algies*) publié à l’occasion de cette exposition. Avec Filippo Filliger, iels ont documenté, filmé, photographié, leurs recherches sur cette déesse, gardienne de l’équilibre entre les cycles de la Nature.

Deux alcôves, d’une semi-obscurité intime et confortable, ont été aménagées occasionnant des pauses confidentielles au cours de la visite:

L’une est une balade sonore en forêt créée par la musicienne Patricia Bosshard. Enregistrant les sons sylvestres durant le confinement, elle les a travaillés en courtes pièces musicales. Enchantement d’une nature exempte de sons mécaniques.

La seconde est le fait de l’auteur Antoine Jaccoud & de la musicienne Sara Oswald. Deux textes savoureux, sur l’abandon à sa propre mémoire, sur ces souvenances qui nous reviennent pour le meilleur et le pire. On y prendra le risque de se plonger dans un passé commun, de s’abandonner à ce penchant de ruminations et de s’emplir des paroles douces-amers exhalées dans cet apaisant lieu clos.

Le salon du petit théâtre s’anime tous les jeudis soirs sur réservation.

Et puis, last but not least, le travail enthousiasmant de Boris A & Dacha Abbet: une série d’installations de fragments d’images alternées entre Suisse et Biélorussie particulièrement convaincante, un film d’animations graphiques sur ce montage photographique et des calendriers d’histoires à arracher. L’hybridation des réminiscences, entre pays d’origine et pays d’adoption, instaure un mélange révélateur du ressenti déchirant issu de l’exil.

Inutile de dire (et pourtant je le fais) qu’il ne faut pas manquer cette exposition aussi riche par la diversité des oeuvres que par son thème universel. Des manifestations diverses sont prévues (page du musée) et un livre réunissant les écrits contemporains d’une dizaine d’auteurs.ices sur ce thème se trouve à la boutique du musée.

*la publication: Des textes libres, autant de miroirs, réflexions, vertiges, émotions, voyages ou chants à emporter avec soi.

A voir aussi au même endroit: les Boîtes-à-rêve de Marie D’Ailleurs et les maquettes du metteur en scène Robert Privat (1919-2007).

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