
Il y a tout juste 100 ans, le 9 avril 1917, Marcel Duchamp inscrivait, sous pseudonyme, « Fontaine » à la première exposition de la Société des Artistes Indépendants (opposants à l’académisme) de New York. Pour la somme de 6 dollars, chaque artiste pouvait présenter l’objet de son choix, aucune justification esthétique n’étant demandée. Ni jury, ni prix et ouvert à tous. Pourtant, la commission refuse l’objet: ridiculisée si elle l’accepte, elle le refuse en réfutant du même coup son principe même! Un vote a eu lieu et la majorité en a décidé ainsi.
Trois des 2125 oeuvres exposées :
1200 artistes au Grand Central Palace sur Lexington Avenue. Duchamp fait partie du comité d’organisation. Il fait parvenir la pissotière signée, intitulée Fountain, ainsi que la somme du droit d’admission, sous le nom de R.Mutt avec une adresse fictive, ceci par l’intermédiaire d’un tiers… peut-être Elsa von Freitag-Loringhoven ou Louise Norton.
L’oeuvre, à défaut d’être refusée, est escamotée, reléguée derrière une cloison, supprimée du catalogue. Duchamp démissionne de l’organisation. La légende dit qu’il ira chercher l’objet, accompagné de Man Ray, quelques jours plus tard. Alfred Stieglitz prendra la seule photographie existante de l’original exposé dans la vitrine de sa galerie.
C’était trop choquant, je suppose, parce que ni obscène, ni pornographique, ni érotique même. Par conséquent, il n’y avait aucune raison valable de le supprimer, de le refuser. Marcel Duchamp
Ce n’est pas le premier readymade de Marcel Duchamp. D’ailleurs le concept même de readymade n’était pas connu à l’époque. Fountain n’est pas, à la différence des autres, sujette au « principe d’indifférence » qu’a élaboré Duchamp (qui ne doit ni plaire ni déplaire). Elle se veut provocatrice, atteinte au « bon goût », volonté de placer l’art autrement, ailleurs qu’au pinacle de l’esthétisme.
Pour marquer l’évènement, Marcel Duchamp publie avec Henri-Pierre Roché (« Jules et Jim ») et Beatrice Wood, un petit magazine intitulé The Blind Man. Le numéro 2 montre la photo de « l’objet exposé refusé par les indépendants », ainsi que deux textes qui relatent les faits et répondent à leurs détracteurs. (collaboration de Duchamp, Louise Norton et Beatrice Wood).

Fountain est exposée quelques jours à la galerie 291 de NYC, puis disparait. Ce ne sera qu’en 1950, qu’elle sera « réactivée » à la Sydney Janis Gallery. En 1964, le galeriste italien Arturo Schwarz, produira avec l’accord de Marcel Duchamp, 13 répliques en modelage.
Le Salon des Indépendants parisien de 1912 avait lui aussi refusé « Le nu descendant l’escalier » de Duchamp. Pour un artiste aussi libre que lui, son indépendance n’aura pas conquis les soi-disant libres-penseurs de l’art de son temps!

Marcel Duchamp, avec Fountain, valorise l’idée au détriment du visuel et de la technique artistique.
Devenue l’icône de l’art conceptuel, Fountain est au centre du travail de Saâdane Afif (1970). Cet artiste français récolte depuis une dizaine d’année toutes les parutions la concernant. A Beaubourg, jusqu’au 30 avril 2017, son installation intitulée « The Fountain Archives » expose les articles encadrés ainsi que les ouvrages dans lesquels ils ont été prélevés. Pour les consulter, cliquer ici .

Voir le reportage de la télévision Suisse Romande sur le centenaire de Fountain : cliquer ici

Pour plus de détails, consulter le livre biographie de Bernard Marcadé (d’où sont tirés mes renseignements), pages 171 à 181, chapitre XVI, La madone des toilettes.
J’ai pris beaucoup de retard dans la lecture de vos articles, mais je compte bien rattraper. Et puis, ce n’est pas vraiment du retard, n’est-ce pas ? Juste le plaisir d’avoir plein de choses à lire et à découvrir.
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Pas tant que ça, je publie moins moi aussi…Me réjouis de lire votre nouvel opus!
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J’aime les artistes rebelles ! ils nous apprennent tellement de choses. La frontière est subtile entre les choses admises ou choquantes… et chacun est libre d’interpréter l’oeuvre !
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Et pourtant Duchamp ne prend pas une posture de rebelle. Il affirme seulement sa conviction, avec flegme et dignité, intelligence et humour. Son oeuvre et sa vie sont en totale cohérence. Et c’est, je crois, ce qui lui donne sa profondeur. Belle journée!
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