
Octobre 1890. Le tout premier engin volant s’élève à 20 cm du sol et parcourt 50 m. Emmanuel Radnitsky est âgé d’un mois. Il est l’aîné des quatre enfants de parents juifs russes émigrés et devient à l’âge de 7 ans l’un des 3 millions de newyorkais que compte la ville.
1902. Le Flatiron building est achevé. Manny effectue sa bar-mitsvah, c’est un bon élève qui montre du talent pour le dessin. Il fréquente les musées de la ville lit Balzac et rêve de l’Europe, berceau de l’Art. Peintre, voilà ce qu’il veut devenir. Même si la bourse en architecture qu’on lui a accordée aurait été plus raisonnable.

Fréquentant la galerie 291 tenue par Stieglitz et Steichen, il se forme à leurs côtés, puis intègre la Ferrer Modern School, un école d’art d’esprit particulièrement libéral, fréquentation qui encouragera son indépendance artistique et ses recherches non académiques.
Il y rencontre sa première compagne, Adon Lacroix, qui arrive de Belgique avec sa fille. Elle est peintre et poète, grande admiratrice de Rimbaud et Apollinaire. Leur union durera six ans. Man Ray réalise plusieurs portrait d’elle.
1913. Année de l’Armory Show. L’art moderne fait scandale. New York s’échauffe pour le »Nu descendant l’escalier » de Marcel Duchamp, celui que les cubistes ont dénigré à Paris. Man Ray fait la connaissance de Marcel deux ans plus tard, lorsque celui-ci débarque à New York. Une amitié impérissable, une première exposition où il vend six toiles… y joindre l’achat d’un appareil photo et 1915 devient l’année de la bonne fortune!
Il devient le créateur prolifique d’objets, de films, de peintures, de dessins, de photographies et de techniques artistiques. Inspiré, il prend le nom de Man Ray, l’homme rayon de lumière.
1917. C’est le gigantesque salon de la Society of Independant Artists. Ni jury, ni prix, chacun peut y exposer ce qu’il veut moyennant 6 dollars. Un urinoir y est pourtant refusé…
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Man Ray expérimente l’aérographie (« peindre sans toucher à la toile! »), les assemblages, réalise des objets, produit des compositions photographiques… Stieglitz lui conseille le portraitisme, très prisé par les artistes comme outil promotionnel dans la presse. Il désire avant tout être reconnu comme peintre, mais se présente dorénavant aussi en tant que photographe.
Photographier les oeuvres d’autres artistes, faire leur portrait, lui permet de gagner sa vie. L’unique numéro de New York DADA , avec Rrose Sélavy en couverture, sort en 1921 supervisé par Man Ray.
1921. Paris. Guidé par Marcel Duchamp, Man Ray découvre la ville et fait connaissance des dadaïstes, les futurs surréalistes, dont André Breton. Il est immédiatement reconnu par le mouvement, ce qui lui permet d’exposer en décembre 1921. Il se lie aussi à Francis Picabia, Erik Satie, rencontre Brancusi et Gertrude Stein.
Bérénice Abott (1898-1991) part pour Paris, un peu avant Man Ray. Elle y sera son assistante dès 1923, le temps d’apprendre les ficelles du métier de photographe. Puis, grâce à l’aide de Peggy Guggenheim, elle ouvre son propre studio en 1926.

Grâce à Gabrielle Picabia, Man Ray se lance dans la photo de mode pour Paul Poiret. Du beurre dans les épinards…Il redécouvre aussi ce qu’il nomme les rayographies, le travail direct avec la lumière sur le papier photo.

Montparnasse. Dans un café, Man Ray rencontre la fougueuse Kiki (1901-1953), Alice Prin de son vrai nom. Coup de foudre! et vie commune houleuse durant huit ans… Elle est chanteuse, danseuse, actrice (une quinzaine de films). Vers la fin de leur liaison, elle expose aussi ses peintures et dessins. En tant que modèle, elle pose pour Modigliani, Soutine et Foujita (qui préface ses mémoires).
1924. Le Manifeste du Surréalisme est publié, composé par André Breton (1896-1966). Automatisme, rêve et inconscient doivent exprimer le fonctionnement réel de la pensée.

Man Ray apparait avec son comparse Duchamp dans un petit film loufoque de René Clair intitulé Entr’acte, une commande de Francis Picabia pour le spectacle Relâche.
Malgré les dissensions au sein du groupe surréaliste, Man Ray l’individualiste conserve de bonnes relations autant avec Breton qu’avec Tzara. Il participe à la revue et aux expositions, dont la première a lieu en 1925 à Paris, sans pourtant s’impliquer activement dans le mouvement. Breton le cite avec Picasso, Picabia, Duchamp, Chirico et Ernst dans une conférence sur l’évolution moderne.
Cependant c’est par son oeuvre photographique qu’il est reconnu par les surréalistes, plus que par sa peinture, ignorée et invendue.
Entre 1923 et 1929, Man Ray réalise cinq films. Le retour à la raison (1923), Anemic Cinema (aide à Marcel Duchamp), Emak Bakia en 1926, L’Étoile de mer (avec Desnos et Kiki) en 1928, Les Mystères du château de dés en 1929 (présenté lors de la même soirée qu’Un Chien Andalou de Bunuel et Dali.
1929. Mais qui est cette femme sublime qui demande à être son élève? Lee Miller (1907-1977), telle une apparition. Mannequin vedette du magazine Vogue, elle tient mordicus à apprendre la photographie et avec nul autre que Man Ray. Subjugué, il lui enseigne développement, prise de vue et retouche photographique et c’est ensemble qu’ils découvrent la solarisation que Man Ray exploite par la suite. Leur liaison est passionnelle et rapidement imprégnée de rivalité, elle reflète leur intransigeante liberté d’esprit à tous les deux.
Man Ray confie du travail à Lee, ce qui lui permet de peindre. Lee Miller apprend vite et bien, elle ne tarde pas à créer aussi ses propres oeuvres, dont des autoportraits.
La rupture survient au bout de trois ans, pénible pour Man Ray, déjà sujet à des périodes dépressives. Il s’emploie durant deux ans à une de ses rares grandes toiles, figurant les lèvres de Lee Miller:
« Il est sept heures du matin à l’horloge, avant que la faim de l’imagination ne soit satisfaite. Le soleil n’a pas encore décidé s’il allait se lever ou rester couché – mais ta bouche apparait… Elle devient comme deux corps, séparés par une ligne d’horizon, mince, ondulante. Comme la terre et le ciel, comme toi et moi, et donc comme tous les objets microscopiques, invisibles à l’œil nu… Lèvres du soleil, vous m’attirez sans cesse de plus en plus près et, en cet instant d’avant le réveil, lorsque je sors de mon corps – que je suis en état d’apesanteur – je te rejoins dans la lumière du jour et le même espace vide, et mon unique réalité, je t’embrasse avec la seule chose qui reste de moi : mes propres lèvres » (Man Ray, Cahiers d’Art, 10 : 5-6)
1932. Man Ray rejoint Marcel Duchamp, Mary Reynolds, Gala et Dali à Port Lligat, près de Cadaquès. Ce dernier lui propose d’illustrer par ses photos un article qui doit paraître dans la revue Minotaure (éditée par Albert Skira). Cette revue, supervisée par Breton, traite la photo comme un art à part entière. Pas si évident pour l’époque.

Giacometti lui présente une compatriote suisse, Meret Oppenheim qui pose très librement pour lui.

Vers le milieu des années trente, j’avais rétabli ma réputation de photographe, je fréquentais les cercles mondains et j’étais sollicité par les agences de publicité et les revues de mode. (..) C’était mieux payé. Et j’avais plus de temps pour la peinture. (tiré de Man Ray, Autoportrait, 1963
1936. L’année des premiers congés payés. Man Ray est sur la Côte d’Azur accompagné d’Adrienne Fidelin, dite Ady, danseuse originaire de la Guadeloupe. Elle sera la première femme noire à apparaître en sur une pleine page d’un magazine américain, le Harper’s Bazaar. Sa relation avec Man Ray prend fin en 1940 lorsqu’il retourne aux Etats-Unis, fuyant la guerre, et qu’elle renonce à le suivre.

1937. Une collaboration avec Paul Eluard dont les poèmes « illustrent » les dessins de Man Ray et non l’inverse: Les Mains Libres
Il expose beaucoup en Europe: Italie, Angleterre, Belgique, Espagne, Paris bien sûr. Les Etats-Unis aussi, même s’il y est moins compris.


1940. De retour aux Etats-Unis, lors d’un voyage à Los Angeles, Man Ray rencontre Juliet Browner (1911-1993). Elle est la fille d’émigrés roumains. Elle étudie la danse avec Martha Graham, puis devient modèle, en particulier pour Willem de Kooning. Elle épouse Man Ray en 1946, le même jour que Max Ernst et Dorothea Tanning.


1948. Exposition Man Ray à la galerie Copley de Beverley Hills (Bill Copley créera la Fondation Copley, des bourses pour aider les artistes). L’évènement s’intitule « To be continued Unnoticed » (A poursuivre en restant inaperçu). Aménagée en bistrot à la française, la galerie californienne prend un air exotique! Un succès indéniable par son affluence, mais une déception au niveau des ventes.

Il y dévoile ses Equations Shakespeariennes peintes d’après ses photographies d’objets mathématiques dont il a changé les couleurs ou les proportions et introduit des formes inattendues. Il donne le nom d’une pièce de Shakespeare à chacune des toiles.
1951. Retour en France, où Man Ray désire vivre en peintre et non en photographe! Avec Juliet, ils s’installent au 2bis, rue Férou, une sorte de hangar dont les fenêtres sont à 6 m de hauteur. Il y installe un faux plafond mobile en toile. Un paravent sépare le lit du reste du logement. Un loft, quoi! Ils y demeureront jusqu’au décès de Man Ray.
1961. Man Ray reçoit la médaille d’or de la Biennale de Venise. Il photographie toujours les artistes, comme Montand ou Deneuve. Il est reconnu comme l’un des précurseurs du dadaïsme avec Picabia et Duchamp. Son oeuvre picturale est pourtant méconnue.
Il décide de rédiger ses mémoires, Selfportrait, publié le 1er avril 1963.
Je n’ai jamais fait, pour une seule oeuvre, un aussi grand effort qu’en écrivant ce livre!
1971. Grande rétrospective Man Ray au musée d’Art Moderne de Paris! Philadelphie, ville natale de l’artiste, déclare forfait faute de moyens…
La photographie est-elle un art ? Il n’y a pas à chercher si c’est un art. L’art est dépassé. Il faut autre chose. Il faut regarder travailler la lumière. C’est la lumière qui crée. Man Ray
Luminescence : émission de lumière par un corps non incandescent.
Source principale : Man Ray par Serge Sanchez, Folio biographies
J’adore le « portrait de Berenice Abott » !
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oula, t’es un rapide, toi!
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A reblogué ceci sur VITRINART..
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