Mise en scène Anne Schwaller
Au Théâtre de Carouge du 25.04 au 14.05 2023
C’est un air d’opéra qui ouvre la pièce, préfigurant le tragique dilemme de Nora Helmer. La scène, plongée dans la pénombre, encadrée sur trois faces par des parois resserrant le plateau, représente un salon, dont le mobilier est uniformément blanc, ainsi qu’un petit sapin de Noël. Nora en longue robe virginale, parcourt l’endroit lentement en silence.
1879, Ibsen crée le scandale avec sa pièce « Une maison de poupée« . Dix ans auparavant, l’essai de John Stuart Mill « De l’assujettissement des femmes » remet en cause la notion d’essentialisme des genres et invoque l’émancipation des femmes. Henrik Ibsen et son épouse Suzannah s’intéressent au sujet, ce qui donne naissance à la pièce. De plus, on peut y voir aussi une allégorie de la société norvégienne, engoncée à cette époque dans des valeurs bourgeoises et restrictives.

Au premier abord, le personnage de Nora semble en effet d’une légèreté enfantine. Son attrait pour l’argent la fait passer pour vénale et conforte son mari dans l’idée qu’il doit, comme il dit, « entretenir un étourneau », ce qu’il imagine être « une vraie femme ». Le fait, par exemple, qu’il lui interdise les sucreries participe à l’infantilisation dont elle est victime, une interdiction qu’elle transgresse sans vergogne dès qu’il a le dos tourné. Cependant, on réalise rapidement qu’une raison impérieuse détermine sa conduite. A l’insu de son mari, elle a pris une initiative qu’elle qualifie d’acte d’amour, mais qui la contraint à mentir et la lie à un homme de loi douteux. Affolée par la prise de conscience de son forfait, elle mesure aussi sa dépendance et son ignorance. Ce qui l’amènera à une décision capitale.
La scénographie, par un bel effet de projection, s’attache aux sentiments évoqués en transformant très (trop?) rapidement la tapisserie bleue à motif végétal du début en murs délabrés qui finissent empreints d’une pourriture jaunâtre. Les parois mobiles déterminent des espaces, créant des béances ou des enfermements, jusqu’à disparaître complètement lors de la scène finale.
Les ambiances musicales collent à l’action et lorsque Nora décide de son autonomie, c’est la version de « My Way » de Nina Hagen qui libère sa danse en une bacchanale échevelée. De même, la chanson « Put the blame on mame » interprétée par Rita Hayworth suggère la faute originelle dont la femme est perpétuellement accusée.

Marie Fontannaz, dans le rôle exigeant de Nora Helmer, est virevoltante et déterminée à la fois. Vulnérable mais combattive, elle partage l’ambigüité du personnage avec une belle présence.
Les hommes de l’histoire ne sont guère reluisants par leurs comportements autoritairement bienveillants ou encore convoiteux. Julien George est un mari paternaliste et rigide à souhait, Jean-Pierre Dos joue un Dr Rank quelque peu libidineux mais drôle et Yves Jenny campe un Krogstadt calculateur, égocentrique et sournois. Marie Druc, l’amie de Nora, pondère l’action d’un jeu sobre et naturel, tandis que Véronique Mermoud incarne une nounou discrète.
Lorsque la pièce se termine, nous quittons Nora au seuil de sa renaissance. Elfriede Jelinek en a écrit en 1977, une suite: « Ce qui arriva après que Nora eut quitté son mari ou les soutiens des sociétés », que l’on a très envie de lire à la suite de cette représentation.
Il serait intéressant en effet de lire la pièce de Jelinek après avoir vu cette pièce.
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Oui, très envie de lire la suite de Jelinek !
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