« Liebestod » Angélica Liddell

Au Théâtre de Vidy, Lausanne, du 15 au 18 mars

El olor a sangre no se me quita de los ojos (L’odeur du sang ne me quitte pas des yeux)– Juan Belmonte – Histoire(s) Du Théâtre III

Rien ne ressemble à un spectacle d’Angélica Liddell. Elle semble jouer sa propre vie, ou plutôt sa propre mort, transposant le tragique sur scène. Malgré une essence intensément espagnole, Wagner lui va si bien.

La scène jaune d’or est une arène. Vêtue d’une longue robe noire, c’est là que l’artiste révèlera au public son offrande sacrificielle.

Trois courtes séquences, espacées par des baissers de rideau, constituent une sorte de prolégomène. Une dizaine de chats immobiles, un monolithe noir, une tête de cheval… accompagnés de cet homme, uniquement vêtu d’une longue jupe, torse nu,  d’une stature impressionnante.

Il y a du pain, il y a du vin, il y a du sang.

Et une chanson: un morceau de gipsy rock espagnol, chanson à la fois moderne et terriblement espagnole, parlant d’amour et d’immortalité, de souffrance et d’âme, jouée par deux fois. Une chanson qu’elle poétise de gestes cabalistiques, puis accompagne d’une voix rocailleuse, émanation de l’ardeur tragique ibérique.

Ses mouvements, ses mots, ses postures évoquent le combat, l’âpreté, la férocité et aussi la sensualité. Sa voix est épicée de fureur et de lamento. Ses scarifications évoquent sa propitiation.

© Christophe Raynaud de Lage

Edifiant son ode au torero Juan Belmonte (lequel aurait fait de la tauromachie un exercice spirituel), ainsi qu’à ceux qui « ressentent au-delà de la normalité« , la Sarabande de Haendel rythme une parade autour d’un taureau (factice). Tour à tour le défiant, le moquant, l’aguichant, l’adjurant, le menaçant, le caressant, le narguant, le boléro qu’elle lui offre est une supplique codifiée à sa mesure, un rituel.

© Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

En avant-scène, dans un soliloque intense et exalté, l’artiste harangue le public, manifestant son amour et sa haine, s’adressant autant à elle-même qu’à l’assemblée, fustigeant les acteurs, les féministes, les étudiants, les fanatiques, ses propres fans, etc. Son art même n’échappe pas à ses admonestations: « Tu n’as pas réussi à te faire aimer. Rien ne compte hors ton travail. Tes pitreries n’ont de sens que pour toi! » Rejetant nos tiédeurs contemporaines, elle cite les auteurs qui l’animent, les Genet Cioran Rimbaud Céline Artaud ou Godard, d’une voix rauque, exaspérée par l’absence de foi et de sacré d’une société qui éradique le mystère dès l’enfance. Qui viendra et en profitera? Une vraie question.

© Christophe Raynaud de Lage

Cette virulente diatribe, assénée sans filtre, cette mise à nu viscérale, est un grand moment d’authenticité, une introspection sans concession. Prodiguée à un public enclin à voir au théâtre du Sade sans Sade. Multipliant les paradoxes, elle invective l’apathie de spectateurs dont elle invoque l’amour. Le rideau tombera d’ailleurs, montrant ironiquement trois faces de singes, yeux écarquillés sur le public, tel un miroir sarcastique et grinçant.

Des pères et leurs bébés, un infirme, un homme africain, un cercueil transparent, une robe blanche, un encensoir, un couteau, les deux moitiés d’un boeuf écorché, un habit de lumière, et des chats, stars d’internet, obturant la cruelle réalité de ce monde. Autant de touches peignant le tableau d’une Histoire du théâtre telle que l’interpelle Angelica Lidell, l’histoire de ses racines et de ses abîmes.

Liebestod est une pièce puissante, malaisante parfois, d’une esthétique saisissante, infiniment charnelle, passionnée et allégorique. Sublimer la douleur d’être vivante, c’est ainsi qu’Angelica Liddell décrit sa pratique de la scène. Vous auriez raison d’y sentir une inspiration issue de grands peintres tels que Vélasquez, Goya, Rothko et Bacon.

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