« Mes Frères » Arthur Nauzyciel

A la Comédie de Genève du 12 au 15 janvier 2023

Avec Guillaume Costanza, Marie-Sophie Ferdane, Pascal Greggory, Arthur Nauzyciel, Frédéric Pierrot et un invité surprise. Texte de Pascal Rambert. Chorégraphie Damien Jalet.

J’ai depuis toujours adoré les contes. J’en ai raconté beaucoup et lu encore davantage. Des contes de Grimm à ceux de Kipling en passant par Pierre Gripari et les Mille et Unes Nuits, sans compter ceux d’Henri Gougaud, et bien sûr ceux des mythologies du monde, qu’elles soient grecques ou d’ailleurs. Les thèmes universels de l’Humanité y sont dépeints. Décortiquée par le controversé Bettelheim ou la pénétrante Clarissa Pinkola Estes, cette façon de raconter la vie fascine. Encore faut-il, parmi les archétypes du conte, y déceler les stéréotypes prônés par le patriarcat… Les auteur.ices actuel.le.s ne se privent d’ailleurs pas de déconstruire les scénarios genrés pour créer de nouvelles allégories qui collent à l’évolution de notre société.

Photo © Philippe Chancel

Il était une fois quatre bûcherons et leur servante qui vivaient, comme il se doit, dans une forêt sombre et profonde. Leur logis est une soupente qui ressemble plus à un établissement pénitentiaire qu’à une cabane: un immense cylindre de métal traversé par une rampe et percé de portes. Au centre, l’inévitable table, puisque la nourriture est cruciale dans le format du conte.

Photo © Philippe Chancel

A jardin, la forêt est esquissée par une accumulation de troncs. C’est de cet univers nocturne qu’apparaissent les bûcherons. Enfermés dans leur masculinité, Casqués et  armés de leurs fidèles tronçonneuses, ils vont se présenter chacun leur tour, accompagnés de leurs outils fétiches, objets transitionnels et contondants. Mais l’apparition de la jeune fille, la servante, les rend muets et serviles. Elle possède la longue tresse blonde de rigueur et marche pieds nus, ne s’exprimant que par ordres brefs.

Photo © Philippe Chancel

De la rivalité sourde des quatre frères face à l' »objet » de leur désir naît toute la tension. Comme dans le conte traditionnel, la mise en scène joue avec la répétition des épisodes narratifs, les rituels redondants, comme la pesanteur de leurs pas ou le cérémonial du repas. Les déplacements sont minutieusement composés, les actions chorégraphiées: entre deux frères, la lutte est violente mais aussi ambigüe, le récurage compulsif de la servante évoque la sensualité qu’elle réprime.

Peu à peu, les égards qu’ils montrent à la jeune fille se délitent. La tension de leur désir se déploie en agressivité qui, après s’être répandue entre eux, se tourne contre elle.

« Quand tu céderas. Oui tu céderas – ton visage est vilain quand tu dis non – On ne fera rien de toi, ma pauvre petite – Traînée! fini les mots gentils – Pourquoi tu te promènes toujours avec une bûche? »

De puissants monologues ponctuent le déroulement de ce conte pour adultes. Des scènes oniriques s’amusent des fantasmes érotiques masculins ou donnent voix à l’aïeul, figure tutélaire du patriarcat, citant les règles ancestrales du grand Livre des Anciens. La jeune fille évoque l’ivoire de son trauma d’enfance, sa défense immunitaire. Un hypothétique jeune homme surgit de son imaginaire romantique, donnant lieu à la chanson sirupeuse en duo de Michel Legrand et à la jalousie des bûcherons.

Photo © Philippe Chancel

Au final, la pièce est parcourue de moments très drôles. Elle évoque une part terrible de la masculinité archaïque et aussi la part censément sentimentale de la féminité. En effet, dans sa tradition, le conte essentialise les genres. Ce sont moins ces hommes qui sont à blâmer que le système installé depuis des siècles. Cependant la fin laisse libre cours à la revanche de la supposée frêle et douce jeune fille qui, poussée à bout, se révèle d’une violence digne des Atrides. Son monologue final exprime le dépit que l’on peut éprouver en tant que femme face à la persistance des stéréotypes patriarcaux.

Et ne nous y trompons pas, ce ne sont pas uniquement les hommes qui permettent à ces derniers de perdurer.

Alors, allez voir ce magnifique conte pour adultes, cruel et féministe. La comédienne Marie-Sophie Ferdane y est fabuleuse et ses mâles partenaires désinhibés particulièrement convaincants. Scénographie et lumière participent d’une esthétique et d’une atmosphère mystérieuse et évocatrice. Avec le texte brillant de Pascal Rambert couronnant le tout.

Racontez des contes à vos enfants. Parce que le conte ne parle pas uniquement de genre, il illustre aussi les défis à surmonter dans la vie, les peurs et les épreuves inévitables auxquelles nous sommes confrontés en tant qu’êtres humains. Mais n’oubliez surtout pas de vous prémunir aussi de leurs versions déconstruites et actualisées. 

Des idées de contes détournés ICI

 

 

 

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