Lire le théâtre de Vidy dans les textes : Ernaux, Deleuze, Molière.

Trois pièces à propos du langage théâtral: Passion Simple, Faire le Gilles, L’Avare. (http://vidy.ch/)

Passion_Simple©Agnès_Mellon

C’est la musique qui nous accueille. En étant attentif, on reconnait des paroles, une mélodie. Des chansons populaires. Légèrement modifiées. Ces tubes des années 80, les musiciens (Billie Bird et Marcin de Morsier) les ont ciselés, améliorés, valorisés. Sous le romanesque, on y reconnait la passion, un sentiment dramatique. Dont on ne se moque pas.

Une petite fille écoute, assise devant la guinguette. Après la musique, c’est elle qui dit magnifiquement trois textes. Le premier est un rêve d’enfant. Le second parle du trac, celui de la comédienne, si proche de celui de l’amoureuse. Le troisième est un superbe poème de Peter Handke (« Par les villages »). Et tout est dit sur ce que nous allons entendre de ce texte, de son écriture, du jeu de la comédienne, du décor. Simple. Tout parait si simple.

Emilie Charriot énonce cette passion simple à la manière de l’écrivaine Annie Ernaux: comme un exposé où serait analysé un objet d’étude. La distance entre les actions ou non-actions désespérées de la femme dont il est question, amante éperdue de cet homme marié, et l’impassible compte rendu qui nous est relaté est frappante. Seules ses mains animent les mots, les soulignent, les caressent, les apaisent. Celle qui parle, ce je qui se languit, ce peut être n’importe laquelle d’entre toutes. C’est là la force et l’intensité de ce spectacle: ne pas trop incarner pour laisser la place.

Robert Cantarella, lui, incarne totalement. Faire le Gilles. Au plus juste. Du raclement de gorge jusqu’à la musicalité, il enfile la peau du philosophe Gilles Deleuze. A la manière des moines copistes médiévaux ou des étudiants des Beaux-Arts au Louvre, il copie, imite, ajuste et redonne vie au personnage. Et le ton, les hésitations, les inflexions de voix, l’allure, ne font qu’un avec le discours et permet au spectateur de s’infiltrer in situ dans les méandres de la réflexion de Deleuze. C’est passionnant, drôle, inspirant, pénétrant et fort habile.

Qui donc est cet Avare de notre époque? Un spéculateur du trading haute fréquence? Un politicien mouillé dans une affaire de paradis fiscal? Un occidental craignant de perdre ses privilèges? Un pays érigeant des murs autour de ses acquis?

L’AVARE de Moliere, photo © Pascal GELY

Le théâtre de Molière est intemporel, on le sait, on le dit. Ludovic Lagarde le démontre. Sa mise en scène  actuelle permet l’identification immédiate du genre de protagonistes auxquels on a affaire: un directeur de multinationale lambda obnubilé par le gain, ses enfants adolescents qu’il maltraite et dénigre, un chef d’équipe factice maniant l’efficacité et la flatterie, un ouvrier direct et désabusé, une jeune fille sous contrôle (ou pas) et une snobinarde désargentée et éloquente.

Le théâtre de Molière, c’est le rire, l’humour du texte, le jeu comique des personnages, la drôlerie des situations. Harpagon slamant sa déclaration à Mariane, Frosine la marieuse (Christèle Tual) flagornant pour sa « marchandise », Valère tout sucre et miel par devant, Maître Jacques inflexible et roublard, Cléante et Elise complotant contre un père inhumain, tout y est sans une ride!

Voir L’Avare sur Culturebox

L’argent, bien sûr, est l’argument central de la pièce…comme de notre société. En avoir assez, en vouloir plus ou ne pas en avoir et chercher à en faire, il est le nerf de cette guerre immorale. Il agit d’ailleurs physiquement sur cet Harpagon-là, joué formidablement par Laurent Poitrenaux. Son corps vibre, se contorsionne, souffre visiblement de seulement envisager la perte ne serait-ce que d’une partie de son cher argent. Son humanité semble avoir disparu sous l’exaltation qui le submerge. Ne reste que la cruauté à l’égard de ses enfants et de ses subalternes. Un tableau caustique, plutôt conforme au monde capitaliste.

Son argent bien au frais dans sa cassette de congélation, Harpagon dormira enfin tranquille. Magistral!

L’AVARE de Moliere, photo© Pascal GELY

 

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4 réflexions sur “Lire le théâtre de Vidy dans les textes : Ernaux, Deleuze, Molière.

  1. Bonjour,

    J’ai assisté à une représentation de L’Avare hier soir, à Vidy. Je profite de cet article pour souligner la merveilleuse mise en scène qui nous a été présentée. Saluons en outre le jeu des comédiens, d’une drôlerie rafraîchissante !

    On imagine sans peine cet Harpagon du XXIe siècle aux mains d’une multinationale, assoiffé de pouvoir. On constate la décrépitude de cette obsession de la possession, de l’argent. On perçoit une critique acerbe de la croissance en tant qu’idéologie. Cette pièce peut se résumer ainsi : « Quand l’avoir devient l’être ».

    Courez à Vidy !

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