« Boudoir » Steven Cohen

Au Théâtre de Vidy du 3 au 16 novembre et au Centre Pompidou du 24 au 26 novembre 2022

A la fin, il a fallu un peu de temps. Il a fallu s’extirper de son univers pour réaliser que c’était fini et l’applaudir. L’émotion était palpable, intense.

Photograph: John Hogg

Pour commencer, il y a la projection. Nous le voyons sur écran, en son personnage, toujours grimé, maquillé, costumé. Il ne parle pas, ses gestes suffisent. Lentement, avec autant de douceur que de douleur, il se meut précautionneusement, les pieds emprisonnés dans d’invraisemblables chaussures-sculptures sur lesquelles son équilibre est précaire. Un murmure s’élève, implorant le pardon. Au milieu d’animaux empaillés, entre les tombes juives ou encore à l’emplacement du Konzenstrationlager Natzweiler, nous sommes pénétrés par sa compassion, une infinie compassion pour les carnages accomplis. Il va jusqu’à chercher la purification par le feu. Et par sa mémoire, c’est la nôtre qu’il enclenche.

Ensuite, un porte s’ouvre et nous entrons. Voici le boudoir, un lieu intime, d’évocation féminine. Un endroit à son image, tel un sanctuaire, une parcelle de lui-même. Pendant quelques instants, nous le visitons, nous imprégnant de son atmosphère. Un cabinet de curiosités d’un raffinement extrême, un mélange d’élégance et de kitsch queer. Pourtant, des détails pernicieux surgissent, des incongruités apparaissent. L’esthétique du lieu est mêlée de cruauté. Ne nous leurrons pas. Les peaux d’animaux sur lesquelles nous marchons sont des cadavres.

Puis la lumière s’éteint et il apparait. Ethéré, vêtu de lumière, un être féerique ou même christique. Il se déplace, échassier flamboyant, s’arrêtant pour vous regarder dans les yeux. Ses mouvements, contraints par la recherche d’équilibre, ne perdent jamais leur grâce. Se hissant sur un marchepied, le voilà auréolé, couvrant l’espace de son regard. La bande sonore diffuse des extraits musicaux, un poème splendide. Il déambulera ainsi, chaussé du monde et aussi diaphane que l’étoffe dont il est vêtu. Pour enfin disparaître pieds nus.

Plus qu’un spectacle, ce fut une cérémonie, une expérience presque ésotérique, bouleversante, d’une terrible beauté. Le merveilleux Steven Cohen fait ici acte et cadeau de miséricorde.

Steven Cohen, Johannesburg, South Africa, 20 October 2021, Photograph: John Hogg

« Corseter les corps, les comprimer. Rassembler des fragments d’animaux empaillés, des accessoires contraignants, des costumes- objets. Des corps prothèses pour des êtres composites. Porter le poids mort. Supporter le vivant. Restreindre et redéfinir le mouvement, gêner et entraver la danse. (…) Rapprocher les contraires, du vivant et du mort, de l’humain et de l’animal, du féminin et du masculin. Explorer les ambivalences de l’affreux et du sublime, du sacré et du profane, de la douceur et de la cruauté. Affronter les paradoxes. Surmonter la contrainte du poids des corps morts. Être en quête d’un langage brutal, gauche et élégant. » Citation de Steven Cohen

Introduction au spectacle « Boudoir » de Steven Cohen, par Eric Vautrin from Théâtre Vidy-Lausanne on Vimeo.

 

Ici, l’article (et photos) très complet de Guillaume Lasserre sur Mediapart

 

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s