Photo En-tête : Galeria il Canale pendant l’exposition Anti-Procès 2
© Cameraphoto Venezia, Fonds Allan Kaprow / Archives Lebel

Biennale de Venise 1960, Galleria dell’Accademia se déroule une exposition-manifestation politique et poétique organisée par alain Jouffroy et Jean-Jacques Lebel intitulée « L’Anti-Procès ». Elle réunissait une soixantaine d’artistes en tous genres anti-colonialistes.
C’était une double protestation. A la fois contre la guerre d’Algérie et les guerres coloniales, mais aussi contre la Biennale en tant que manifestation de l’art officiel. Nous manifestions ainsi une opposition à la récupération de l’art par le nationalisme à la Biennale, avec les ridicules pavillons dédiés à des pays. J-J Lebel (source complète)
Lebel apprend qu’une de ses amies, Nina Thoeren, 22 ans, a été sauvagement violée et assassinée à Los Angeles, où habitait son père. Il décide d’organiser symboliquement une cérémonie Happening, une sorte de rituel laïque, en son honneur. Une centaine d’amis et d’artistes y participent, traduisant leur émotion de diverses manières. Dans une grande salle donnant sur le canal, la sculpture de Tinguely est symboliquement mise à mort et installée horizontalement sur une sorte de table à tréteaux, recouverte d’un somptueux tissu doré de Mariano Fortuny.

Après lectures de textes, la « Chose » (un nom global et neutre) est transportée sur une des gondoles prêtées par Peggy Guggenheim. Un cortège d’embarcations suivent le convoi silencieux le long du Grand Canal. A un moment, les artistes font glisser la sculpture dans les eaux vénitiennes, y jetant des fleurs blanches ensuite.
Le premier happening européen avait vu le jour: un événement artistique, spontané ou pas, instauré par un groupe. Il ne sera qualifié de happening que quatre ans plus tard dans la langue française. Tel que l’ont défini en linguistique Deleuze et Guattari : un agencement collectif d’énonciations. Jean-Jacques Lebel a initié en Europe ce qu’Allan Kaprow a nommé, le happening. Qui est tout de même légèrement différent de la performance en ce sens qu’il demande la participation active du public.
L’art d’action du happening, c’est du temps, de l’espace, la présence de l’artiste et l’implication du spectateur. Allan Kaprow en a émis le nom en 1957 pour la première fois. le mot est lié au mouvement Fluxus qui élimine les frontières entre l’art et la vie.
C’est quelque chose de dadaïste, un accident qui advient au moment où on ne contrôle plus rien et qui vous échappe. C’est ça le plus important. JJ Lebel

Les photos proviennent de Cameraphoto Venezia, une agence photographique qui documentait la vie artistique et sociale de Venise, et de Virginia Dortch Dorazio, une artiste qui a participé au happening. Elles ne sont apparues au grand jour que des décennies plus tard et complètent l’image de l' »Enterrement ». Pour en savoir plus, voir l’exposition « Jean-Jacques Lebel », jusqu’au 18 septembre 2022 au Museum Tinguely, Basel

JJ Lebel organise une vingtaine de happenings entre 1960 et 1968. Il publie le premier essai critique en français sur le mouvement des happenings à travers le monde. Privilégiant l’action collective, le mixage et l’hybridation de toutes les techniques, il mélange les genres et fait sauter les frontières entre les différents domaines. Il fait se rencontrer Duchamp et les poètes de la Beat Generation, la poésie, l’action politique, la musique, les arts plastiques et les films. Des happenings, art éphémère s’il en est, il ne reste que quelques documents d’archives, des photographies et de très rares images vidéos.
