
Dieter Roth est un artiste suisse d’origine allemande. Comme beaucoup d’enfants, il participe aux groupes de jeunesse hitlérienne dès l’âge de dix ans. On l’envoie à Zurich en 1943 dans un hôtel, tenu par la famille Wyss, abritant artistes juifs et communistes. Son père suisse et sa mère allemande le rejoignent trois ans plus tard. Il produit ses premières créations artistiques à l’âge de 16 ans, tout en commençant un apprentissage de graphiste à Berne. Il refuse le service militaire en tant qu’objecteur de conscience. Lors d’une rétrospective à Berne, il découvre l’oeuvre de Paul Klee et le travail de Max Bill. Il fréquente Daniel Spoerri grâce auquel il rencontre des artistes tels que Robert Filliou ou Marcel Broodthears.
Dès 1955, il voyage et rencontre en Islande sa première compagne, Sigri∂ur Björnsdóttir (art thérapeute), épousée en 1957 et avec laquelle il aura trois enfants. Jusqu’en 1960, son travail se caractérise par l’art concret, optique et cinétique. Inspiré ensuite par les travaux de Rauschenberg et Tinguely sur le concept création/destruction, Dieter Roth change radicalement son approche. Il agit sur le papier, ce dont la litteraturwurst (pages de livres hâchées et épices) est issu.
Au début des années 1960, Roth développe un système visuel composé de vingt-trois images, chacune correspondant à une ou deux lettres de l’alphabet. Il fait fabriquer un ensemble de tampons en caoutchouc à partir de ses croquis, produisant environ trois cents dessins de tampons. Roth a intentionnellement compliqué leur lisibilité en superposant les timbres les uns sur les autres et en affirmant que chaque symbole avait des significations différentes, en fonction de l’orientation dans laquelle il était estampé.

Dès 1965, il entame la série de ses pièces périssables (fromage, chocolat, épices…), dont le R.O.TH.A.A.VFB. (Portrait of the artist as Vogelfutterbüste, buste en graines pour oiseaux), clin d’oeil ironique à James Joyce, A Portrait of the Artist as a Young Man (1916). Destinée initialement à être exposée en plein air et picorée par les oiseaux, cette sculpture en cacao et graines évoque la transformation et l’impermanence.
Il rencontre l’artiste féministe Dorothy Iannone (1933) en 1967 à Reykjavik. Elle abandonne tout pour vivre avec lui et décrit dans son oeuvre une relation intense et mystique. Elle sera sa Lioness et lui, sa muse. An Icelandic Saga (1978-86), oeuvre-livre, raconte en dessins psychédéliques sa rencontre et ses ébats érotiques avec Dieter Roth.
Pour l’histoire, Dorothy Iannone a poursuivi le gouvernement américain en 1961 contre l’interdiction du livre Tropique du Cancer de Henry Miller, dont elle a obtenu la libre importation sur le territoire américain.

Dieter Roth travaille entre 1968-70 sur des centaines de cartes postales, des impressions techniquement complexes, réalisées avec du cacao, du goudron, de la colle, de la peinture, de l’encre… (exposées au MoMA).

Il collabore avec l’artiste britannique Richard Hamilton, dont un travail commun composé de dessins, de photographies et d’enregistrements sonores : Tibidabo dog compound, 24H of barking, 1978. l’oeuvre est constituée d’enregistrements d’aboiements de chiens dans une fourrière de Monte Tibidabo à Barcelone et une multitude de photographies de chiens prises par Dieter Roth et Björn Roth, son fils, ainsi que de carnets de dessins.
Entre 1971 et 1991, Dieter Roth expose en Europe et crée une fondation à son nom à Hambourg. Il fait de fréquents aller-retour en Islande et ses enfants participent à ses travaux, incluant des oeuvres communes avec son fils Björn.
Visualiser quelques oeuvres sur Artnet en cliquant ICI.
Tourmenté, dépressif, angoissé, il écrit un journal en forme de thérapie.
En 1998, Daniel Spoerri invite Roth et d’autres artistes à concevoir des sculptures pour Il Giardino di Daniel Spoerri, le parc du Monte Amiata en Toscane. Roth y conçoit une installation qui convertit en sons des textes arrivant par fax, faisant écho à son alphabet sonore expérimental des années 1960.

« Tout a commencé de la manière suivante : je voulais faire des choses qui tombent en poussière. » Dieter Roth

Classifiée parmi le mouvement artistique Neo-Dada et liée à Fluxus, son oeuvre peut être rapprochée de celle de Marcel Duchamp. En effet, déjà dans les années soixante, son travail est en perpétuel mouvement, il défie la morale et l’esthétique. Il s’intéresse, comme son prédécesseur, à l’optique et explore les disques rotatifs. De plus, l’archivage et les notes préparatoires jouent un rôle essentiel dans son oeuvre. Mais à la différence de Duchamp, Roth est fébrilement actif et produit énormément.
« (Pour Dieter Roth…) ignorer les normes qualitatives, renoncer à la sécurité du système, faire un saut dans le vide et faire cavalier seul. C’est vital, voire existentiel…. car cela l’obligeait explicitement à défier sa propre résistance, ses propres talents et ambitions. Le message central de l’art de Roth se trouve donc dans une attitude, peut-être une stratégie, mais pas dans aucun sujet en tant que tel, et encore moins – comme Roth l’a dit lui-même – dans la morale. » Theodora Vischer, docteure en histoire de l’art et curatrice.
Particulièrement novateur, il participe à la vision renouvelée du concept d’oeuvre d’art.
Egalement poète, Dieter Roth est un précurseur de ce que l’on appelle le livre d’artiste et soutient qu’il ne fait de l’art que pour pouvoir écrire et publier des livres.

La musique joue un rôle majeur pour l’artiste tout au long de sa vie. Il intègre des instruments de musique dans ses assemblages en tant que reliefs silencieux. Des cassettes et autres appareils audio sont utilisés comme motifs dans ses œuvres sur papier et images. Roth s’est produit sur scène en tant que musicien, seul ou avec le collectif d’artistes « Rarely Heared Music ». Il possédait une vaste collection de disques et son propre studio d’enregistrement. Ecoutez quelques extraits sur la page des Editions Hansjorg Mayer.

Vie quotidienne, autobiographie, tout devient matériau de création. Sculptures, peintures, films, livres d’artiste, estampes, installations, sons, Dieter Roth explore l’art avec une incroyable diversité. Il rend visible le processus de création ainsi que les erreurs, comme s’il voulait rendre sa pensée perceptible.
Son intérêt se concentre sur les matières impures, la temporalité et l’impermanence de toute chose et le concept d’entropie (de transformation à désordre, dégradation…).
Sur des plateaux, il accumule des matières organiques périssables et forme ce qu’il appelle des îles. L’île, métaphore puissante du psychisme. Eden, refuge, féminin mystérieux, territoire résistant, ouverture sur l’infini, etc.

Flacher Abfall (Déchets plats) est un projet à long terme entamé en 1973. Dieter Roth recueille des emballages alimentaires et d’autres restes, les enfermant ensuite dans plus de 600 classeurs bien rangés dans des étagères. Ceci témoigne du rôle de collectionneur, catalogueur et archiviste de Dieter Roth. Préserver les déchets signifie créer à la fois un dossier autobiographique et un environnement dans lequel le spectateur est contraint de se confronter à la nature éphémère de l’existence. Par exemple, « Die die die verdammte Scheisse » (1974) est une série de 22 livres de ce qui est repris, transformé, digéré par l’artiste.


En 2004, le MoMA organise une rétrospective Dieter Roth exposant 350 oeuvres (dessins, livres, peintures, sculptures, installations, films et vidéos), puis en 2013 (Check-liste des oeuvres exposées)
Fin 2013, une exposition monographique a eu lieu à Rennes en Bretagne: « Processing the World » dont on peut consulter le communiqué de presse ICI .
Pour en voir plus : wikiart
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À la fin des années 1980, Dieter Roth offre un exemplaire d’une de ses œuvres littéraires, intitulée Das Weinen. Das Wähnen (Trän-enmeer 4) (Pleurer. Imaginer [Mer de larmes 4]), au jeune musicien suisse qu’était Christoph Marthaler. Celui-ci, devenu depuis le metteur en scène que l’on connait, s’en inspire et crée une comédie mélancolique, chorale et musicale à voir les 14 et 15 janvier 2022 au Théâtre du Passage, Neuchâtel (production Théâtre de Vidy).

Christoph Marthaler, dont la première mise en scène date de 1980, a conçu des dizaines de spectacles et reçu en 2018 le prestigieux Prix International Ibsen (International Ibsen Award).

Réalisée en 1972 à partir d’un amalgame de paille et de crottes de lapin, cette fragile créature appartient à une série de deux cent cinquante exemplaires produite en collaboration avec la Galerie Eat Art de Düsseldorf. Un lieu conçu par un autre artiste suisse et ami de Dieter Roth, Daniel Spoerri, et destiné aux recherches artistiques à partir d’éléments comestibles. Collection Pictet
3 réflexions sur “Dieter Roth (1930-1998) § Christoph Marthaler (1951)”