
C’est dans une petite chambre chaleureuse et intime, illuminée de bougies, meublée de tables-coiffeuses personnalisées par des photos, que nous sommes accueillis. Une jeune femme à la longue chevelure blonde joue de la musique baroque sur un superbe clavecin à queue muni d’un double clavier. Des partitions jonchent le sol. Nous écoutons, transportés dans un monde de délicatesse et de raffinement. Mozart, Purcell, Haendel…
Nous sommes alors invités à nous déplacer. Le contraste est puissant. Comme pour l’un de ces abjects combat clandestins, de coqs ou de chiens, nous nous disposons autour de l’arène. Un immense hall de gare, des colonnades en béton, une aire entourée de barrières Vauban.
La pénombre est tout juste éclairée par un néon solitaire disposé horizontalement en hauteur au centre du périmètre protégé. En-dessous, un homme casqué, vêtu de cuir noir chevauche une moto, noire également. Silence.
Et puis un son, sorte de claquements réguliers assortis de grincements. Il entre. Peau diaphane, cheveux blonds, tunique de soie blanche, talons vertigineux, les avant-bras et le bas des jambes couverts de grelots.
Un cri grave, «Hey», et le clavecin, maintenant invisible, recommence à jouer. La voix est de tête, la danse est de terre. Les talons jettent véritablement des étincelles, son corps, virtuellement, le fait aussi. Subjugués par sa grâce que nous recevons de plein fouet. La musique, le chant, la danse, la présence même de l’artiste, tout est envoûtant, magnétique.
Il ne semble tout d’abord pas faire cas de ce monstre noir immobile. Sa danse est virtuose. Son équilibre improbable, ses déplacements à la fois impalpables et impétueux, ses positions insensées et harmonieuses, il fascine, il attire, il provoque.
Se débarrassant de sa tunique, il rampe alors au-devant de la machine. Toujours chantant, sensuellement, il se hisse sur l’engin. Ses postures sont lascives et légères, acrobatiques et séduisantes, sculpturales et gracieuses. Incroyable qu’il chante encore.
Il gît à terre lorsque la moto démarre. D’abord, lentement, elle fait un tour de piste près des barrières. Dangereusement près de nous. Puis accélère. Le son du moteur envahit l’espace, le crissement des freins écorche nos oreilles. Ses tours se resserrent. Le menacent, lui, le gisant.
Il se relève, attend, accepte, demande. La machine rue, violente, agressive. Il est prêt.
Accroché à la roue arrière, la bête humaine, de fer et de chair, le traîne à sa suite.
Entre le baroque de la musique et celui de la situation, ce voyage avec François Chaignaud, la pianiste Marie-Pierre Brébant et le cascadeur Cyril Bourny, mis en scène par Théo Mercier, fut un véritable enchantement, une incursion insolite dans un univers constitué d’oxymores: douceur et sauvagerie, raffinement et brutalité, grâce et rudesse, musicalité et rugissement.
Une ultime délicatesse? Les artistes nous ont serré la main à la sortie.
Une ultime délicatesse? Les artistes nous ont serré la main à la sortie.
§
Rapprocher deux termes en apparence contradictoires, c’est user d’un oxymore. Cette figure de style permet d’exprimer poétiquement quelque chose d’à priori inconcevable.
« Oxymore vient du grec oxumôron, composé d’oxy (aigu, spirituel, effilé) et môros (épais, sot, mou). Le terme « oxymore » est ainsi un autologisme (un mot qui se décrit lui-même) puisqu’il est lui-même un oxymore !
Le but de l’usage de l’oxymore est de créer la surprise chez le lecteur. »
Entre attraction et répulsion, poésie et crudité, l’art contemporain est friand d’oxymores.

« Les artistes nous ont serré la main à la sortie. » – eh ben, en effet, ce n’est pas tous les jours….
J’aimeAimé par 1 personne