Latifa Echakhch est une artiste plasticienne française née au Maroc. Elle travaille à Paris et vit à Martigny (Suisse).
Arrivée en France à l’âge de trois ans, elle est diplômée des écoles d’art de Grenoble (1997), Cergy-Pontoise (1999) et de l’Ecole Nationale des Beaux Arts de Lyon (2002). Son langage artistique est mêlés d’allusions et de références, c’est un travail poétique, et aussi politique, par lequel les frontières culturelles se fondent dans l’humanité du monde.
« Je préfère poser des questions que d’affirmer une opinion de manière frontale ou unilatérale. » Latifa Echakhch

« Tambour », la pièce ci-dessus, fait partie d’une série. Elle a été réalisée en versant goutte à goutte de l’encre depuis 4 mètre de haut. La matière et l’espace sont ainsi contraints par un protocole immuable où l’artiste ne maîtrisera que partiellement le résultat. Soleil, trou noir, mandala, dripping, cible? Le tondo, peinture de forme circulaire, ornait les plafonds de lieux sacrés. Une forme narrative qui laisse la place à l’imaginaire et permet l’ouverture aux interprétations.
Latifa Echakhch produit des installations en lien avec l’espace dans lequel elle intervient. Elle y transpose ses références qu’elles soient personnelles ou multiculturelles, sociales ou historiques à l’aide d’indices, de traces ou de symboles. Le geste dont les oeuvres sont issues, auquel nous n’assistons pas, c’est l’action fondamentale de son travail.

La pièce « Fantôme », composée d’une chemise et de colliers de jasmin, évoque la « Révolution de Jasmin », initiée en Tunisie en décembre 2010. Le parfum des fleurs qui s’estompe au fil du temps illustre l’invisibilité, l’impermanence, le souvenir. Dérision, ironie, mélancolie, tristesse?
Ses matériaux de prédilection sont modestes et banals comme des verres, de l’eau colorée, du papier stencil, etc. Parmi eux, l’encre occupe une place importante. « Si je n’avais pas trouvé le moyen d’exercer le métier d’artiste, j’aurais écrit de la poésie » déclare-t-elle. Elle évoque ici cet attachement à la poésie, acte de résistance, et l’empreinte d’une première métaphore poétique, rencontrée dans son enfance, celle d’un poème, très populaire dans les pays anglophones, de John McCrae, mis en scène dans un dessin animé :
Dans ce poème, les coquelicots seraient rouges du sang des victimes, civiles ou militaires.


« Tkaf », mauvais sort en dialecte maghrébin, montre des briques de couleur « sanguine » brisées au sol et des traces de mains, de gestes, à hauteur d’homme sur les murs. L’identité, l’absence/présence humaine est au coeur de l’oeuvre, comme pour ces tapis de prière (« Frames »: cadres) à la base censés protéger d’un sol impur, mais déconstruits, vidés de leur matière ou réduits à leur fondement.


« A chaque stencil une révolution ». Des papiers carbone collés au mur, dont la matière bleue déborde et dégouline, laissant les silhouettes fantomatiques d’une foule dressée. Une oeuvre à très forte charge émotionnelle, qui évoque manifestation, sang, histoire, art, humanité, obsolescence, philosophie, etc.

Avec « Mer d’encre », l’artiste propose un ensemble de chapeaux rempli d’encre figée par de la résine. Prenez le temps, cher lecteur, de vous évader dans vos propres évocations…

Latifa Echakhch est lauréate du prix Marcel Duchamp en 2013. À l’invitation du Centre Pompidou, l’artiste présente dans l’Espace 315 une installation inédite: une oeuvre en forme de balade qui débute par l’envers du décor, noirci, comme calciné, sous forme de nuages noirs, présentoirs d’objets usuels trempés dans l’encre noir et posés à même le sol. Des souvenirs qu’elle nomme « encrages ». Au visiteur de s’arrêter pour se pencher sur eux et s’interroger. Arrivé au fond de la salle, se retourner et se trouver face aux nuages cléments, bleus blancs, doux et rassurants.
Interview de Latifa Echakhch


L’artiste s’exprime sur son oeuvre : Vidéo
Le travail artistique de Latifa Echakhch est lié à la mémoire. La mémoire personnelle. Mais je le perçois aussi dans une certaine mesure dans celle des archétypes (« tendance humaine à utiliser une même forme de représentation », Carl Gustav Jung). Sa démarche touche aux intuitions, celles qui renferment un thème universel commun à toutes les cultures, figuré sous des formes symboliques diverses, chacune étant liée à une émotion. L’archétype est imbriqué dans l’inconscient collectif, il implique la mythologie et l’histoire des civilisations.
En revanche, le souvenir est un élément de la mémoire individuelle, la survivance d’un moment, d’une impression, d’un évènement. Il peut être un objet conservé en référence à quelque chose d’intime. Un texte ou une oeuvre autobiographique est aussi un souvenir, ainsi qu’un hommage rendu.
Le souvenir est constitué de trois étapes: une expérience passée, une trace de cet évènement et le moyen de le retrouver. Il est une évocation du passé, alors même qu’il est présent. Il conserve et actualise, il est donc une expérience du temps.
D’ailleurs le poème de Paul Celan, cher à Latifa Echakhch, est issu d’un volume intitulé « Pavot et mémoire »(publié en 1952).
« Lait noir du petit matin nous le buvons au soir
Nous le buvons au midi et au matin nous le buvons à la nuit
Nous buvons et buvons (…) »


Une très belle artiste au service de beaux engagements. Merci pour la découverte 🙂
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Hah, j’adore le « Globus « …..et « Tkaf » m’interpelle….. Merci pour ce « voyage » au niveau des nuages d’encre….
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A reblogué ceci sur runglaz.
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J’aime la sobriété des Tambours. Dripping hazardeux surtout depuis 4m de hauteur. L’air du Temps, que j’ai pu voir à Beaubourg, est superbe. Bel article encore une fois. Bravo. 😉
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La démarche est surprenante. L’occupation de l’espace dans l’espace… Merci pour la découverte. Superbe article.
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