Au Théâtre de Vidy, Lausanne, les 27 et 28 janvier 2023
D’après Charlotte de Castelnau-L’Estoile, Anne-Emmanuelle Demartini, Emmanuelle Loyer.
Les trois historiennes contemporaines citées ci-dessus, professeures des Universités, ont travaillé sur l’histoire culturelle européenne et les luttes des femmes. L’actrice et metteuse en scène Jeanne Balibar s’empare de leurs textes pour en faire une lecture théâtrale.
En réunissant trois textes différents, j’avais la possibilité de faire, en quelque sorte, mon autobiographie par les autres. Ce qui est proche de la démarche de l’acteur quand il dit les mots de personnages inventés par un auteur. En fait je me raconte à travers six femmes : les trois historiennes et leurs trois héroïnes. Jeanne Balibar, mars 2019
1933, Hitler accède au pouvoir. Violette Nozière, 18 ans, tente d’assassiner ses parents, tuant son père. L’affaire fait les gros titres de la presse. Son besoin d’émancipation dans une société qui exige d’une femme qu’elle soit bonne mère et bonne épouse en menace les fondements et son accusation de l’inceste de son père brise un tabou puissamment entretenu. Elle a dû « devenir coupable pour se déclarer victime« .
1975, la France légalise l’avortement. Delphine Seyrig réalise le film « Sois belle et tais-toi » où elle s’entretient avec 24 actrices au sujet de leur réalité en tant que femme dans la production cinématographique. Elle est une figure incontournable du féminisme français.
1686, Madagascar est annexé par la couronne de France. Pàscoa Vieira est embarquée sur un bateau négrier pour Salvador de Bahia. Soupçonnée de bigamie par l’Inquisition, accusée de s’être mariée au Brésil alors que son premier conjoint était encore vivant en Angola, son procès dure dix ans. Elle résiste, se défend et après deux ans de prison, retrouve sa liberté.

Pour Violette Nozière, Jeanne Balibar, assise sur un praticable, lit des extraits du procès, des articles de presse évoquant la « monstrueuse accusation d’inceste » que Violette a osé dénoncer, des lettres de femmes anonymes témoignant de la possible véracité des propos de l’accusée, l’ayant vécu elles-mêmes. Dressée sur cet autel, elle joue la tragique scène de la confrontation mère fille. Son ombre hiératique reflétée sur le mur souligne la dimension de son propos.
Pour Delphine Seyrig, une sobre lecture de citations est entrecoupée d’extraits de films (Truffaut, Akerman, Resnais…) ou d’entretiens filmés. Jeanne Balibar fume allongée sur la petite estrade, faisant revivre par sa posture, cette égérie du droit des femmes. Elle souligne son engagement pour des causes féministes et sociales. Ce qui a pu servir à Delphine, fée dans Peau d’âne, sera reproché à la Delphine de Jane Dillman…
Pour Pascoa Vieira, elle est assise sur une simple chaise, aux côté d’une servante lumineuse, elle lit les minutes des différents procès de l’Inquisition, citant les protagonistes et les dates. Des lectures judiciaires, rapides et même très rapides (quelle diction!), ennuyeuses, mais qui, lues de cette façon, montrent bien le temps passé et les minutieuses et inutiles enquêtes auxquelles ont donné lieu ce procès. Son exaspération renvoie à l’acharnement qu’a dû endurer Pàscoa, esclave affranchie, harcelée à travers trois continents.

Ce voyage avec Jeanne Balibar, de près de 4h avec entracte, dépeint depuis le regard et les recherches de ces trois historiennes, révèle les portraits de ces femmes combattives et leur révolte face aux injustices de leur époque. Mêlant l’Histoire sociétale et l’art théâtral, cette pièce donne à voir de manière saisissante les différentes temporalités de la parole des femmes. La petite histoire rejoint ici la grande, le magnétisme et le talent de Jeanne Balibar redonnant voix à ces challengeuses!
Répétons-le avec Delphine Seyrig: « A chaque nouveau pas, on s’aperçoit qu’on n’est pas libre »
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- Jeanne Balibar Comédienne, chanteuse
- Charlotte de Castelnau L’Estoile Historienne, professeure à Sorbonne Université, spécialiste de l’histoire du Brésil colonial et de l’esclavage
- Anne-Emmanuelle Demartini Historienne, professeure d’histoire contemporaine à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
- Emmanuelle Loyer Historienne, professeure à Sciences Po Paris, spécialiste de l’histoire culturelle des sociétés contemporaines