En-tête: The Family (John Gruen, Jane Wilson and Julia), 1970

Elle a demandé à Mapplethorpe de la prendre en photo les yeux fermés pour voir à quoi elle ressemblerait lorsqu’elle serait morte!
L’oeuvre d’Alice Neel (1900-1984) a longtemps été ignorée. Elle-même fut une femme engagée durant sa vie entière. Sympathisante communiste, elle est sensible à toutes les inégalités et injustices sociales. Son attention se concentre sur la face précaire et marginalisée de la société comme les pauvres, les femmes, les immigrés, les homosexuel.le.s, etc. Sa peinture est un acte politique. Par la force et l’intensité de ses portraits, elle cherche à investir la vérité de son modèle. Elle le fait sans concession pour un art qui se voudrait plaisant.
Le tableau ci-dessus date de 1936, dénonçant très tôt un génocide en cours d’expansion. Paris
Très tôt, elle désire être artiste. Après un métier alimentaire de secrétaire, elle étudie l’art jusqu’à l’âge de 25 ans à la Philadelphia School of Design for Women. Un premier mariage avec un artiste cubain, Carlo Enriquez Gomez, l’amène à s’installer à Cuba où elle rencontre l’avant-garde artistique du lieu. Iels exposent ensemble et avec succès à la Havane.

Elle perd leur premier enfant, une fille, Santillana. De retour à New York en 1927, son mari la quitte trois ans plus tard en emmenant son second enfant, Isabetta. Alice Neel est internée en hôpital psychiatrique durant plusieurs mois.

Au sujet de ce portrait d’Ethel : Je peux vous assurer qu’il n’y avait personne au pays qui faisait des nus comme ça. Et aussi, c’est génial pour le mouvement de Libération des femmes. Elle s’excuse presque de vivre.


Sa rencontre amoureuse avec Kenneth Doolittle en 1932 se solde par un acte de jalousie où il brûle 300 de ses oeuvres sur papier et détruit 60 peintures. Un grand admirateur, avec lequel elle resta proche, John Rothshild, en était la raison.
Durant la Grande Dépression, le président Roosevelt lance le Federal Art Project of the Works Progress Administration (WPA). Alice Neel reçoit 26.88 dollars par semaine, avec la contrainte de fournir une toile (qui ne soit pas un nu) toutes les 6 semaines. Elle produit alors des scènes politiquement engagées.

Entre 1938 et 1941, elle se met en ménage avec le chanteur portoricain José Negron et donne naissance à un fils, Richard. José la quitte très tôt, mais Alice Neel reste proche de sa famille.

Neel vit en condition de précarité à Spanish Harlem, mais déclare aimer ce quartier « pour l’aspect profond et riche du sentiment humain enfoui sous vos camions de pompiers« . Elle continue de peindre tout en se sentant coupable de le faire sans en recueillir de bénéfice pour sa famille. En cette période de ségrégation, elle peint énormément de personnes de couleur. Elle dit que ce qui la motive est de révéler les inégalités et les pressions subies par le peuple.
Sam Brody, réalisateur et marxiste devient son compagnon et le père de son fils Hartley. Le portrait de Lénine restera accroché dans sa cuisine jusqu’à la fin de sa vie.
« Je suis une anarchiste humaniste » Alice Neel

En 1960 son travail fait enfin l’objet d’un article sur Artnews.
Artiste femme, libre dans son art et son corps, communiste au temps du MacCarthysme, peintresse figurative pendant l’avènement de l’expressionnisme abstrait, séjour en hôpital psychiatrique inclus, elle garde sa ligne personnelle et son réalisme cru.

Entre 1954 et 1960, elle cesse d’exposer. En 1959, elle apparait dans un film de Robert Frank, typique de la Beat Generation : « Pull my Daisy » (à voir ICI). commenté par Jack Kerouac, le film met en scène Allen Ginsberg, Peter Orlovsky et Gregory Corso.
Ses fils aux études, ayant quitté la maison, Alice Neel peint plus. Elle emménage dans un appartement à New York dès 1962. C’est là qu’elle invite toutes sortes de personnes à poser pour elle.

En 68, elle participe à plusieurs manifestations, dénonçant l’absence d’artistes femmes et africaines-américaines dans des expositions.
En 1974, une rétrospective de son oeuvre a lieu au Whitney Museum de NYC. Mais ce n’est qu’une vingtaine d’années après sa mort qu’elle atteint une véritable renommée.
Le Centre Pompidou diffuse une vidéo de l’artiste en cours d’élaboration du tableau « Margaret Evans Pregnant« , enceinte de jumelles. Alice Neel a peint plusieurs femmes enceintes, ce qui était bien loin d’être courant dans l’art avant elle.

Alice Neel peint les femmes, elle devient une icône du féminisme militant, mais aussi de la lutte des classes, des questions de genres. Elle se définit elle-même comme étant humaniste anarchiste. (voir ICI)

Avec les portraits saisissants d’Alice Neel, nous sommes loin du regard mâle (le famuex male gaze) et ses images sexy d’idéal féminin. L’engagement intense d’Alice Neel pour les minorités durant sa vie entière est à l’image de sa propre vie de mère célibataire vivant d’aides sociales. Elle place les regardeu.r.se.s bien en face des yeux de ses modèles. Iels nous regardent en train de les regarder, nous interrogeant fixement par-delà les frontières, par la magie de l’artiste.
« En politique comme dans la vie, j’ai toujours aimé les perdants. Cette odeur de succès, je ne l’aimais pas. » Alice Neel (Site de l’artiste)
Paris (Alice Neel, un regard engagé): J’aurais aimé voir encore plus de portraits, il me semble que le choix des oeuvres aurait pu être plus varié. Peu sur les gens de la Factory (mais Warhol y était) ou ceux, moins finis, plus épurés de la fin de sa vie, ceux des minorités portoricaines aussi, ou encore ses début un peu surréalistes. Certains ont déclaré qu’elle mettait en scène ses modèles avec autorité. Elle, en revanche, dit qu’elle les fait parler d’eux-même lorsqu’ils arrivent et qu’ils trouvent alors eux-même leur posture durant leur monologue.
Londres (Alice Neel, Hot off the griddle): un accrochage magnifiquement sobre, un livret très complet sur les gens que l’artiste a fréquenté et leur parcours. L’éclairage est saisissant, la lumière semble sortir des tableaux. Les oeuvres sont quasiment les mêmes, avec quelques ajouts, mais elles sont réellement mises en valeur avec assez d’espace pour respirer. Un film émouvant la montre à une cérémonie entourée de ses deux fils.

« the reason my cheeks got so pink was that it was so hard for me to paint that I almost killed myself painting it. » Alice Neel
Merci pour cet article, quelle vie!
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Oui, j’en ai rajouté un peu et ce n’est sûrement pas terminé…
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Quelle femme et quel courage à l’époque de s’affirmer comme elle l’a fait !
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Ce fut une belle découverte pour moi qui ne connaissait pas cette artiste.
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Absolument, pour moi aussi. jamais vu de tableaux d’elle en vrai. Quelle puissance, cette femme !
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