Au théâtre de Vidy du 5 au 11 février 2020

Christophe Rulhes et Julien Cassier fondent le Groupe de Recherches Artistiques, le GdRA, en 2005. Menant des enquêtes anthropologiques, leurs créations théâtrales se situent à la croisée des sciences humaines et du spectacle. «Lenga», premier volet de leur série La Guerre des Natures a été créé à Vidy en 2016.
Le spectacle « Selve » se base sur le personnage central de Sylvana Alimina Opoya qui vit en Guyane française dans le village de Taluwen situé en bordure d’une forêt amazonienne et du fleuve Lawa. Au travers du portrait de cette jeune femme wayana de 23 ans, le musicien-anthropologue Christophe Ruhles et l’acrobate-danseur Julien Cassier tracent l’histoire contemporaine d’un peuple déterminé à sauvegarder sa culture traditionnelle et son habitat tout en vivant dans le présent.
La scénographie est mouvante : Les arbres, gardiens séculaires de la terre, sont représentés par les portraits photographiques sur pieds de la famille et des proches de Sylvana. Au cours du récit, de longues bandes graphiques se déroulent depuis les cintres , formant une forêt d’images verticales. Deux écrans mobiles projettent les films réalisés sur place par lesquels s’exprime Sylvana. Christophe Rulhes est côté cour à la batterie, guitare et chant. La scène est surmontée par un magnifique disque, un Maluwana, ciel de case peint par un artiste wayana.

Les témoignages filmés traduits en direct par les comédiens dispensent un véritable bain auditif dans la langue wayana. C’est à travers eux que le public découvre ce peuple de chasseurs, pêcheurs, horticulteurs et cueilleurs, lentement étouffé par une vague de suicides, la propagande sectaire des évangélistes, le mercure déversé dans le fleuve par l’orpaillage illégal, la déforestation. Mais leur présent, c’est aussi l’usage du monde actuel connecté et, tout autant, les traditions chamaniques. « De la pourriture de ce qui meurt naissent de nouvelles pousses ». Sylvana, après ses études, revient au village avec pour objectif la transmission de sa langue maternelle en tant qu’enseignante.
Tandis que les chants en voix de tête de Christophe Rulhes captivent dans les parties musicales, les passages textuels sont entrecoupés d’époustouflantes scènes dansées par Julien Cassier et Chloé Beillevaire qui transmettent une énergie évoquant autant la lutte d’un peuple terrien que les forces de la Nature.
Parmi les longs tissus peints de l’histoire de Taluwen et la généalogie de ses visages, la représentation se termine en apothéose dansée et chantée accompagnant l’image filmée d’une Sylvana Opoya déterminée, symbole d’une identité résiliente.

« Qui suis-je? Le guerrier dragon, le fils de l’oie, un panda? je suis tout à la fois. » Sylvana
Parce qu’il n’y a jamais qu’une seule vérité et que la réalité est métisse.
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Le livre « La Guerre des Natures » de Christophe Ruhles et le GdRA contient deux CD audio pour faire entendre des sons, des langues et des voix liés au théâtre musical de Lenga et Selve:

« La Guerre des Natures » oppose en batailles successives les « terriens » (humains et non-humains qui savent qu’ils appartiennent à la Terre) aux « modernes » (ceux qui pensent depuis quelques siècles déjà que la Terre est à eux). Cette lutte peut traverser en contradictions une seule et même personne. Depuis l’Amazonie wayana, les townships xhosa du Cap, les rues merina d’Antananarivo ou le monde paysan aveyronnais, Lenga et Selve sont des récits de deuils et d’espoirs issus de ce conflit. Ils se métissent vers un imaginaire de l’oralité et du paysage urbain, forestier, fluvial, dans lequel les visages et les portraits sont là.