Mesure pour mesure, les tentations du pouvoir…
La pièce de chambre n°3 de Karim Bel Kacem explore la pièce du visionnaire William Shakespeare. Elle ne pourrait mieux tomber qu’en ce moment. En effet, entre l’élection de Trump et la découverte de l’emploi fictif de l’épouse de F.Fillon, le pouvoir et ses dérives, de tous temps ambigus, sont d’une actualité flagrante. De plus, les Etats, menacés par des attaques terroristes, resserrent leurs lois avec, pour argument irréfutable, la sécurité et la protection.
Le procédé du metteur en scène est d’une grande efficacité. Les spectateurs se trouvent de part et d’autre du « cube » scénique, lui-même partagé en deux emplacements séparés par une vitre: la prison (espace d’exécution) et le cabinet ministériel (espace du pouvoir). Ils assistent au même spectacle, mais selon un point de vue différent. Magistrale trouvaille encore relevée par des projections vidéo. Les murmures et les pensées des personnages nous parviennent directement par nos propres écouteurs. Heu…les cris aussi…
Gouvernant en place, le Duc offre le pouvoir à Angelo, personnage de réputation sévère et vertueuse, ceci dans le but de s’accorder une retraite lui dit-il. En réalité, sous le déguisement d’un moine, il observe incognito l’exercice du pouvoir et les mesures drastiques que va prendre son remplaçant. Un espionnage souligné par l’installation en direct de plusieurs caméras dans les lieux de l’action et qui nous rappelle que l’oeil de l’état est partout .. prêt à mordre? Oeil pour oeil, dent pour dent, mesure pour mesure…
Sur wikipedia, l’ histoire de la pièce de Shakespeare.
Le régent Angelo, qui ne peut résister à son désir charnel, utilise l’emprise de son pouvoir et en abuse par un chantage outrageux envers Isabella, la chaste soeur de Claudio qu’il a condamné à mort pour fornication avant mariage. Ce qu’il condamne devient donc, par sa faiblesse humaine, son propre crime.
Quoi de plus universel, de plus banal, de plus actuel?
Au coeur du drame, les femmes sont malmenées, abusées, utilisées. XVIIe ou XXIe siècle, le sexe et le pouvoir restent de puissantes libidos. Le Duc, lui, parait plus juste malgré la ruse et les manipulations dont il fait preuve en se dissimulant. Sa quête semble être celle d’une justice plus humaine. Mais entre répression et compassion, quelles lois, quels jugements? C’est toute la complexité de l’exercice du pouvoir.
De plus, cette passionnante mise en scène est servie par d’excellents comédiens. Yann Collette est surprenant d’aisance dans le rôle du Duc/moine, il exploite avec brio sa faculté à endosser différentes personnalités, et même différentes voix. Lors du final, en forme d’émission télévisée avec rires et huées enregistrées, il devient l’animateur enjoué de la grande farce politique.
Cliquez sur le Dossier de Presse du théâtre de Vidy.
Mesure pour Mesure met en évidence les failles entraînées par les différentes formes de la concupiscence humaine. L’envie de dominer issue de l’exercice du pouvoir, l’attrait irrépressible de la sexualité, la vanité de la convoitise du savoir à tout prix. Toutes ces faiblesses qui forge notre humanité.
Saint Augustin, repris par Pascal, distingue trois types de désirs qui entraînent chacun une forme différente de concupiscence:
la libido sentiendi qui recherche la satisfaction des désirs du corps, de la chair.
la libido dominandi, orgueil de la domination des autres et de soi-même.
et la libido sciendi, l’envie de savoir, d’obtenir la connaissance.

Belle découverte que cette pièce de Shakespeare ! Une mise en scène recherchée et efficace pour entraîner le spectateur vers une compréhension plus précise et différente ? Bel effort de création 🙂
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Oui, un très bon moment. En faisant mes recherches sur la pièce, j’ai vu qu’Ostermeier l’avait aussi mise en scène. Voici un lien vers une étude intéressante :http://www.laparafe.fr/2013/03/une-etude-de-mass-fur-mass-de-thomas-ostermeier/
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Merci 😉
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Intéressant, pas très réjouissant, mais on ne peut pas toujours passer sa vie à rêver… Merci pour le partage 🙂
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En effet, ici, Shakespeare décrit plutôt un cauchemar…qui se rapproche de notre réalité !
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Merci à toi pour cette découverte. La mise en scène et la répartition des spectateurs de part et d’autre du cube est très enrichissante. Cette façon de mettre en scène la pièce pour explorer différents points de vue permet de mieux d’élargir sa compréhension du monde et de l’autre. Assister à cette pièce doit être une expérience intense que j’auras aimé vivre.
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