Peinture, dessin, écriture, il en est le fervent explorateur ! Site officiel
Francis-Marie Martinez de Picabia naît à Paris de l’union de la bourgeoisie française et de l’aristocratie espagnole. Il perd sa mère française à l’âge de sept ans, son éducation familiale est alors assurée par son père, son oncle et son grand-père (respectivement consul, bibliothécaire et homme d’affaire). Ce dernier lui prédit un jour la disparition de la peinture au profit de la photographie, dont il est un amateur passionné. Réponse du jeune Picabia : « Tu peux photographier un paysage, mais pas les idées que j’ai dans la tête. »

Francis Picabia entre en 1895 à l’Ecole des Arts décoratifs et expose quatre ans plus tard au Salon des artistes français. Avec le XXe siècle, il entame une première période impressionniste en découvrant Sysley et Pissarro, recycle leurs procédés avec virtuosité (cf Arnauld Pierre) et se fait connaître en exposant dans les grands Salons. Un contrat avec une prestigieuse galerie (Haussmann) couronne son succès et, dès 1905, ses premières expositions personnelles l’incite à perfectionner sa technique et son « approche émotionnelle et subjective de la peinture ».

En 1909, il épouse Gabrielle Buffet, musicienne d’avant-garde, critique d’art et écrivaine. Quatre enfants naîtront de cette union. Malgré sa notoriété de peintre impressionniste, son style bifurque vers l’art moderne, ce qui le bannit pour un temps du circuit des critiques, galeristes et aussi clients. C’est une première rupture fondamentale (permise par sa fortune personnelle…). Son tableau « Caoutchouc » est aujourd’hui considéré comme une oeuvre fondatrice de l’art abstrait au même titre que l’aquarelle (1910) de Kandinski. Il ne sera pas exposé avant 1930. Ce tableau serait issu d’une recherche pour une nature morte.

L’année 1911 le voit rejoindre le groupe de Puteaux, réunis chez la famille Duchamp, qui prône l’assemblage de l’art et de la science, en particulier autour du nombre d’or. Picabia lie alors une amitié durable avec Marcel Duchamp. Article de Dalia Judovitz
Une autre caractéristique de ce siècle est que les artistes viennent par pair : Picasso-Braque, Delaunay-Léger, bien que Picabia-Duchamp constitue un couple étrange. Une sorte de pédérastie artistique. Entre deux personnes, on arrive à un échange d’idées très stimulant. Picabia était amusant. Il était iconoclaste par principe. MD

Nous, c’était assez comme les deux pôles, si vous voulez, chacun ajoutant quelque chose et faisant éclater l’idée par le fait qu’il y avait deux pôles. Étant seuls – il aurait été seul, j’aurais été seul –, peut-être moins de choses se seraient-elles produites en nous deux. MD
(Georges Charbonnier, Entretiens avec Marcel Duchamp)
Gabrielle et Francis Picabia se rendent à New York en 1913 pour l’Armory Show (un évènement majeur de l’histoire de l’art) qui expose 300 artistes américains et européens, dont une avant-garde qui provoque des éclats scandalisé dans les médias, mais qui s’affirme grâce à une fréquentation populaire record à cette exposition. Le « Nu descendant l’escalier » de Duchamp, refusé en France, y trouve un acheteur pour 324 dollars. Picabia, porte-parole ici de l’avant-garde européenne, prolonge son séjour dans la « seule ville cubiste du monde », dit-il, et expose avec Duchamp à la galerie 291 d’Alfred Stieglitz.

Ecouter l’interview audio de Francis Picabia par Pierre Dumayet.

Durant la guerre, Picabia voyage entre New York et Barcelone. La mécanisation du monde lui inspire un certain nombre de « portraits-objets ».

Il se rallie au mouvement Dada dont il rencontre le groupe et Tristan Tzara en 1918 à Zurich, lors d’une période de convalescence. Interdit de peinture par ses médecins, il se met à écrire. Prose et poèmes.
Pour lire son opus « Jésus-Christ Rastaquouère » (1920), cliquez Ici.

En 1919, il se sépare de Gabrielle et entame une relation avec Germaine Everling (les mains et le chapeau de Rrose Sélavy!). Un fils, Lorenzo, naît de cette union et une nounou est engagée pour s’en occuper, Olga, qui deviendra la dernière compagne de Picabia. Le Paris des années folles est aussi celui de Dada et Picabia s’en donne à coeur joie en créant du scandale écrit, dessiné ou collé…et des manifestes Dada. Il publie aussi son roman « Caravansérail » en 1924, anti-dogme et désinvolte.

Les scandales se suivent avec notamment « L’oeil cacodylate« . Francis Picabia publie de nombreux écrits, en particulier dans la revue d’André Breton, « Littérature », dont il signe aussi plusieurs couvertures, mais aussi dans la revue Dada et dans la sienne, 391. Entre 1921 et 1925, il produit de façon prolifique, clamant qu’il ne craint pas de se compromettre face à « l’élite » ou les imbéciles et affirmant sa volonté de peindre en toute liberté et exempt de toute contrainte.
Il fait construire sa résidence, le château de Mai, à Mougins près de Cannes. Ses nombreuses voitures (il en aurait eu 127!) et son aisance financière lui permettent toutes les escapades et une vie mondaine . « J’ai toujours aimé m’amuser sérieusement. »

Il se détache des surréalistes en 1924 et critique ce mouvement, pour lui « fabriqué ».

Il crée un ballet « Relâche » et un projet de court-métrage, « Entr’acte » (réalisé par René Clair, musique Erik Satie). Destinés à être visionnés ensemble, c’est la première intervention du cinéma, pas encore considéré comme art, dans un spectacle de danse.
Dans sa série « Les monstres », il utilise du Ripolin (peinture émail) et emprunte ses sujets aux peintres classiques ou à des cartes postales en les réinterprétant.
Olga Mohler supplante Germaine Everling. Dès 1933, il vit avec elle sur son yacht ancré en face du casino de Cannes. Nouvel amour, nouveau style, il passe aux transparences, une association du visible et de l’invisible, la notion du temps ajoutée à celle de l’espace a dit son marchand d’alors Léonce Rosenberg.
La peinture de Picabia subit encore de multiples transformations durant la seconde guerre et les ennuis financiers se multiplient. Il épouse Olga en 1940 et vit, plus chichement, de la vente de ses tableaux qui passe du réalisme à l’abstraction géométrique, puis peint des nus tirés de revues érotiques. Un avant-goût de Pop Art, non?

De retour à Paris en 1945, il reprend l’abstraction, puis produit des tableaux minimalistes composés de points. En 1951, la maladie lui ôte définitivement ses pinceaux.

Emaillée de contournements, changements, emprunts et provocations, l’oeuvre de Francis Picabia demeure fascinante. Est-ce sa liberté, celle de son époque, celle, contagieuse, de ses amis artistes? DADA l’a-t-il engendré ou fut-il « génétiquement » DADA?
Son apparente jubilation camouflant un tempérament neurasthénique, l’humour de ses intitulés (« le titre est une couleur apportée à l’oeuvre » a dit Duchamp), son attrait pour l’imprimé et la langue, cachent à peine son dilemme entre la mort de la peinture prophétisée par Duchamp pour les « intoxiqués de la térébenthine » et ses tentatives de la sauver en la réinventant. La grande diversité de son travail pourrait inciter à le soupçonner de n’être qu’opportuniste et mondain…En fait, il souhaite sa peinture accessible à tous, simple, d’un abord immédiat, une peinture « la plus jolie possible, une peinture imbécile susceptible de plaire à mon concierge ».
Sa seule conviction semblait être son féroce anticléricalisme. Et peut-être aussi, le fait qu’il refuse d’intégrer sa propre intériorité dans sa peinture. Pour instaurer son garde-fou en forme de kitsch et de citations picturales, funny guy!
Une vidéo qui montre l’hallucinante diversité de sa peinture:
A lire, le livre de Arnauld Pierre sur Francis Picabia, « La peinture sans aura« .

«Pour que vous aimiez quelque chose il faut que vous l’ayez vu et entendu depuis longtemps tas d’idiots» Picabia sur une affiche DADA de 1920…
Dada fête le centième anniversaire de sa création. Qu’est-ce qui pourrait relever de ce mouvement contestataire aujourd’hui? Jeter un pavé dans la mare de l’art actuel, bien plus libéral qu’il ne l’était après la première guerre, déjà en grande partie récupéré par l’économie, s’avère un défi autrement plus compliqué à relever.

Afficher une liberté empreinte d’humour jusque dans l’absurde, ne pas craindre le ridicule, être subversif et anti-conformiste, là est la force de de Dada! Remuer, choquer, mais en faisant rire, en restant dans l’éphémère et le questionnement, en combattant l’abrutissement!
« Dada ? le mot à été choisi au hasard dans un dictionnaire pour que, justement, il ne signifie rien et ne nous engage à aucun dogmatisme » expliquait Tristan Tzara en 1961 . « Il n’y avait en commun, entre nous, qu’un grand sentiment de révolte. Nous allions tous dans le même sens, qui était de dépasser les formes de l’Art pour atteindre la liberté de l’homme et de l’individu »
Ne jamais confondre Dada et le surréalisme, même si nombre de ses membres le sont devenus plus tard.
Un site interactif a été créé par David Dufresne et Anita Hugi pour fêter ce centenaire Dada-Data:

Dix questions sur le mouvement DADA en cliquant Ici !
A reblogué ceci sur VITRINART.et a ajouté:
FRANCIS PICABIA (1859-1953)
6 décembre 2016 · par CultURIEUSE
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Très bel article ! Bravo !
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Je ferai du plagiat (sur « artsplastiques ») : « Très bel article » ….- et pour personnaliser : je me rappelle encore de ma « découverte » de « Femme au boulledog » un dimanche pluvieux à Paris et suis content/reconnaissant que tu as choisi parmi les milliers d’œuvres justement cette illustration ….(t’aurai pu aussi prendre le « French Cancan » p.ex. ce tableau si van Dongen-ien)
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Je préfère nettement bulldog, au moins une composition vivante. French cancan, c’est pour moi une poupée effrayante et inhumaine.
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inhumaine…. qui reflète bien la réalité vécue par les mamzelles…. !
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Tu as raison…
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…. c’est justement cette vue sur cette « faune à part » et néanmoins constitutive de notre monde que j’aime chez les van Dongen ou Grosz…
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Ou Otto Dix! oui oui d’accord avec toi, toujours le concept qui prime, mais il y en a que je préfère voir ailleurs que sur mes pages…
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J’adore cet article ! Je crois qu’il va me falloir plusieurs lectures pour tout appréhender… Merci merci merci 🙂
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Ton enthousiasme est galvanisant, c’est toi que je remercie!
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. Bravo J’aime cet artiste qui décla rait un jour : » le diable me suit de jour comme de nuit car il a peur d’être seul » ! Génial. Avez vous lu ce très intéressant ouvrage d’anne et Claire Berest : Gabrielle. si non je vous le recommande pour un éclairage singulier sur Picabia ( et >Gabrielle Buffet bien sûr. Bien à vous.
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Oui oui, bien sûr! Excellent. J’étais justement en train de feuilleter le Duchamp de Marcadé ( qui travaillerait à une bio de Picabia). Pour vérifier les revenus de MD et répondre à votre commentaire sur la non frugalité. Mais je n’insiste pas, je risque d’en recommencer la lecture!
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