Kader Attia (1970) § réparation

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Crédit photo : Serge Hasenboehler

Kader Attia est un artiste plasticien, né dans la région parisienne, de parents d’origine algérienne. Il vit et travaille actuellement entre Alger et Berlin. Enfant et adolescent des cités, il passe beaucoup de temps sur le marché de Sarcelles, lieu d’échanges et de rencontres cosmopolites. Il revendique d’ailleurs la pluralité de ses cultures: populaire, intellectuelle, occidentale, africaine…Remarqué pour son coup de crayon, il suit l’école supérieure des Arts Appliqués de Dupperré et obtient son diplôme en 1993, puis passe aux Beaux-Arts de Barcelone. Il se forme en philosophie et en art. C’est au Congo où il vit deux ans qu’il découvre la sculpture africaine ancienne et contemporaine.

De retour à Paris en 1997, il réalise un diaporama composé de 160 photographies, « La Piste d’Atterrissage », sur la vie des transsexuels algériens exilés à Paris durant la guerre civile dans leur pays. Personnes étrangères dans leur corps, dans leur lieu de vie, dans une autre culture, ils sont tenus de se « construire, déconstruire, reconstruire » une identité.

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Piste d’atterrissage (2003) / Diaporama composé de 160 diapositives projetées, 13 mn / Musée d’Art moderne de la Ville de Paris.

Ses projets oscillent alors entre vidéo, installation et photographie. La reconnaissance internationale arrive peu à peu: Biennale de Venise en 2003, nomination pour le prix Marcel Duchamp en 2005, Biennale de Lyon en 2007 et il se fait remarquer lors d’importantes expositions collectives.

Il travaille sur les rapports complexes qu’entretiennent les cultures occidentale et orientale entre culture dominante globale et résistance identitaire des pays émergents, le déchirement qui en résulte et la possible réparation envisageable.

L’oeuvre ci-dessus (« Ghost », 2007) présente 102 sculptures qui évoquent une assemblée de femmes en prière. Les corps sont moulés dans du papier d’aluminium. De face, on les découvre creuses à l’intérieur. Des coquilles vides. Fragilité, absence, négation de l’individu, vulnérabilité, religion, groupe d’appartenance… autant de thèmes questionnés. Le corps est présent, mais l’identité est absente. Le projet de Kader Attia est ici de remplir l’espace avec du vide:

« L’homme crée des formes, le vide leur donne du sens «  Lao Tseu

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Kader Attia, « Skyline », 2007

« (…)Il ne faut pas oublier que ces immeubles que je représente sont des réfrigérateurs (…) » KA. Cette skyline (ligne d’horizon que l’on voit avant d’entrer dans la grande ville) est une version de l’illusion qui miroite vu de loin, le mirage de la modernité occidentale qui disparaît lorsque l’on se trouve à l’intérieur (source).

« J’utilise le médium artistique pour dire des choses politiques mais aussi comme support psychanalytique. Mon travail est toujours lié à une volonté d’avoir prise avec la réalité. Mes souvenirs, mes origines peuvent donc intervenir. » KA

Voir ici la brillante  Conférence de Kader Attia au Musée d’Art Moderne de Paris, 14 juin 2012.

L’exposition lausannoise (22.05 au 30.08 2015), intitulée « Les blessures sont là », montre l’intérêt de longue date de Kader Attia pour la question de la réparation (objet ou blessure).  Avec des images d’archive, des sculptures, des photographies, des installations, il interroge l’Histoire à travers la philosophie, l’ethnologie, l’esthétique et évoque les blessures physiques individuelles qui répondent aux blessures des civilisations.

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Kader Attia, « Asesinos! Asesinos! », 2014 La foule muette des portes qui enferment, brisées, disent « la nécessité de s’affranchir ».

Dans l’une des salles, des bustes en marbre blanc figurant les Gueules Cassées de la première guerre mondiale sont présentés en paralèlle avec un objet blessé dont la réparation est bien visible. Ces objets de cultures extraoccidentales (masques africains ou tablettes d’écriture arabe) dont les blessures ne sont pas effacées, mais plutôt mises en évidence, montrent une autre manière d’assumer le dommage, en le magnifiant.

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Kader Attia, Gueule cassée, Masque, 2013, marbre et bois
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Kader Attia entre deux bustes en bois de la série «Culture, Another Nature Repaired». Réalisées en 2014 avec des artisans africains, ces «gueules cassées» ont été sculptées dans des arbres nés pendant la Première Guerre mondiale. (photo:Eddy Mottaz). Source journal Le Temps.ch

Voir aussi à ce sujet l’article du blog ci-dessous : Jeanne Poupelet au service des gueules cassées

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Kader Attia, « The Culture of Fear : An Invention of Evil », 2013

 La construction du regard et de la peur de l’autre est abordée dans une autre salle qui propose une installation d’étagères remplies de journaux. Certains datent de la fin du XIXe ou début du XXe siècle, illustrés de dessins de l’époque coloniale où les non-blancs molestent ou torturent des blancs ou des blanches. Une imagerie récurrente de propagande pro-coloniale qui était la seule information de cette époque. D’autres documents journalistiques, plus actuels, montrent les images dénonçant le nouvel ennemi qu’est devenu l’Islam après le 11 septembre. Une politique de la peur qu’utilisent aussi les groupes radicaux comme Daech.

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Kader Attia, « Untitled (Couscous) », 2009

Fasciné aussi par l’architecture, Kader Attia relie l’influence du voyage marquant de Le Corbusier en Algérie dans les années trente à ses constructions révolutionnaires en Europe, comme les toits-terrasses qui existaient depuis le XIe siècle dans les déserts Nord-Africains. Il crée une image poétique du désert marqué par des vides géométriques, bases d’un village mozabite. La complexité des influences, des métissages, des échanges en est réaffirmée.

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Kader Attia, « Mirrors », 2014. Toiles déchirées et recousues.

Ces toiles, déchirées puis recousues, rendent la blessure visible mais réparée. Une réparation symbolique qui rend hommage à l’histoire de l’objet, de la personne, de la situation, de l’Histoire. Après Lucio Fontana qui ouvre l’espace de la toile, Kader Attia la recoud patiemment, comme une réparation symbolique de la modernité par une technique traditionnelle éternelle. (cf. guide du musée Cantonal des Beaux-Arts de Lausanne).

L’exposition commence avec le son de l’oeuvre « Inspiration-Conversation », le souffle humain, elle se termine avec celui (ceux!) de l’oiseau-lyre australien qui est un as de la reproduction sonore. Kader Attia met ici en évidence les réparations auxquelles la Nature travaille pour pallier aux défaillances générées par l’Homme (« Mimesis as resistance »).

Voir plus d’oeuvres sur le site de Kader Attia

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Kader Attia, « Artificial Nature », 2014

   En France, la loi Taubira de 2001 qualifie l’esclavage de « crime contre l’humanité ». C’est un devoir de mémoire, mais il n’y est pas question de réparation. Pour les réparations à la suite de guerres, l’Allemagne et le Japon ont dû payer des sommes considérables après la deuxième guerre mondiale, tant aux Etats qu’aux victimes individuelles.

En 2008, Berlusconi a décidé de payer pour les années de colonisation de la Lybie par l’Italie. N’était-ce pas une stratégie pour obtenir de juteux marchés avec Khadafi? En contrepartie, celui-ci renforçait sa coopération dans la lutte contre l’émigration clandestine sur les côtes du sud de l’Italie, première porte d’entrée de l’Europe.

En quoi consisterait une réparation postcoloniale? Peut-on donner un prix aux souffrances endurées par les peuples colonisés? Le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-Monde, dans un article de Renaud Vivien, préconise :

L’annulation inconditionnelle de la dette extérieure publique, qui se chiffre aujourd’hui à 1350 milliards de dollars, qui permettrait donc à la fois de rendre partiellement justice aux peuples colonisés et constituerait une étape indispensable pour rompre les liens néo-coloniaux et respecter le droit à l’autodétermination consacré par la Charte des Nations unies .

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Kader Attia, « Flying rats », 2005. Mannequins d’enfants constitués de graines, pigeons vivants.

Lauréat du prix Marcel-Duchamp 2016, Kader Attia s’exprime ici sur France Culture.

9 réflexions sur “Kader Attia (1970) § réparation

  1. Et cette année prix Marcel Duchamp. On peut voir les quatre nommés au prix au Centre Pompidou jusqu’au 30 janvier 2017. J’avais une petite préférence pour Barthélémy Toguo. J’ai eu l’occasion de voir par deux fois l’oeuvre Ghost, de Kader Attia, c’est chaque fois saisissant.

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