Création, du 27 mars au 6 avril 2019 au théâtre de Vidy-Lausanne
«La surface ne m’éblouit pas. J’ai tendance à mettre mon nez là où se promènent les cafards» Angelica Liddell, 2010.
Au centre de ces six trônes recouverts de tissu, elle s’assied et entame un monologue vibrant en espagnol. Son désespoir s’élève crescendo tandis qu’elle s’adresse à sa mère morte, en fille n’ayant pas su l’aimer, en fille coupable dont jailli enfin la pitié, scandant ses paroles à coups de pied, frappant sa poitrine de ses poings. Ses sanglots et ses lamentations révèlent une affliction indigne, puisque son amour pour sa mère cannibale ne provient que de la mort «qui a ramené en moi le géant de la pitié», transformant la haine en amour. Son coeur ravagé de culpabilité implore une cérémonie et une mortification.
L’expiation passe par les rites et les costumes traditionnels de l’Estrémadure, la terre de sa mère, assimilée aux entrailles maternelles. Par les chants et vocalises graves et sublimes de Nino de Elche, par la glorification de la femme dans sa nudité à tous les âges de la vie, par l’adieu à l’enfance, comme une fillette transportée dans un cercueil par des homme aux torses peints de firmament, par ces trois noires silhouettes aveugles, Parques ou Erinyes, réclamant le tribut d’une vie, que ses entrailles n’ont pas enfantée, «Qui va me pardonner maintenant?» hurle-t-elle éperdue.
Puis, elle est ligotée avec soin, le torse enserré, les bras crucifiés par des cordes.
Ses plaintes déchirantes et les proférations du chanteur s’exaltent, surpassant la musique solennelle et envoûtante de Pachelbel. Les femmes sont libérées de leur trônes sanctifiés. Par une parabole, celle du troupeau de porcs, les démons sont vaincus, absorbés par une véritable tête de cochon.
Elle peut alors rejouer son enfance, une enfance allégée et heureuse où, tel un jeu de cache-cache, on se cherche et on se trouve. Les trois noires Erynies deviennent Euménides, de Furies, elles se changent en Bienveillantes et caressent le ventre rond d’une femme enceinte, en majesté, couronnée par l’oeuf oracle. Puis appellent et reçoivent l’illumination, l’esprit et le pardon.

Voilà ce que j’y ai vu…après réflexion. Mon ressenti est partagé. Assister à un spectacle d’Angelica Liddell est une expérience. Pas toujours agréable, mais puissante. Il y a des moments poignants, horribles, sublimes, surprenants, déplaisants, ténébreux et radieux. Il y a de la folie et de l’exacerbation, une réelle volonté d’authenticité, une passion ibérique extrême et la recherche d’une vérité universelle.
Il y a surtout une artiste profondément sincère.
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Pour cette cérémonie théâtrale, Angelica Liddell est partie, entre autres références, du livre de William Faulkner intitulé « Tandis que j’agonise », un roman composé de monologues intérieurs sur le voyage funéraire entrepris par une famille pour aller enterrer la mère. Un livre important et puissant.
Lui aussi avait un mot. Il appelait ça l’amour. Mais il y avait longtemps que j’étais habituée aux mots. Je savais que ce mot était comme les autres, rien qu’une forme pour combler un vide; je savais que, le moment venu, on n’aurait pas plus besoin de ce mot que des mots orgueil et honte. William Faulkner
Le rite est une pratique sociale de caractère sacré ou symbolique. Les rituels (codification écrite du rite) funéraires permettent l’hommage, le souvenir, l’adieu, le recueillement et la compassion. Ils ne sont plus forcément liés à la religion et peuvent être personnalisés. ICI, un site pour découvrir.
J’adore la citation du début 🙂
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Pas facile à interviewer la dame… mais une artiste immense! 😉
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Merci pour le lien « rite » !!!! T’es formidable !
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Merci à toi, précieux et rare lecteur, je te retourne la balle en or!
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