« Jérusalem » d’Alan Moore (1953), Livre 1.

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Avant tout, saluons la traduction de Claro. Non seulement elle est impeccablement écrite, mais il a de plus publié des chroniques sur Le blog du traducteur en ajoutant certaines précisions tout à fait bienvenues pour le lecteur. Alan Moore (scénariste de BD comme V comme Vendetta, Watchmen,etc.) a mis dix ans à écrire son roman, mais combien d’heures Claro a-t-il passé pour traduire le seul chapitre 26 (Battre la campagne)!?!

Un roman extraordinaire mêlant le fantastique à la réalité, l’Histoire à l’Humain, l’éternel à l’instantané. Une fresque aussi philosophique que métaphysique où Northampton devient la métaphore de l’humanité. Ne pas se laisser décourager par les descriptions géographiques….

Prélude et postlude du roman sont investis par les personnages d’Alma et de Michael Warren, contemporains de notre époque, le propos du livre 1 dessine les traits, en onze chapitres, des êtres qui ont forgés cette descendance spéciale en présentant les acteurs de la famille Vernall (« les gardiens des marges du monde« , p.274), mais aussi et surtout les lieux : Northampton, dit les Boroughs. Chacun des chapitres nous fait entrer dans les pensées d’un personnage durant sa journée, à la manière de l’Ulysse de Joyce.

1.Une nuée d’Angles où Ern Vernall, restaurant une fresque dans les hauteurs de l’église de St. Paul en 1865, est confronté à un ange monumental peint … qui lui explique les niveaux de monde:

« Khaaar la fououdreu marrrquheu nosstreuh rrpsaaageu… » Car la foudre marque notre passage… (p.73)

Le Caravage, Saint Matthieu et l’ange , vers 1602

2.Injonction au désir où, en 2006, la jeune Marla, fan de Lady Di, droguée et prostituée occasionnelle, nous promène dans les Boroughs (par l’intermédiaire de ses pensées) en quête de sa dose:

D’un autre côté, elle aimait pas trop l’académie de billard. Pas parce que c’était sombre ou sordide, mais…bon, d’accord, peut-être que c’était grave du délire, hein, mais la seule fois où elle y avait été c’était quoi genre l’après-midi? (p.91)

3.Les sans-abri où Freddy Allen en 2006 (mort depuis 40 ans) déguste inlassablement la même séance de baise vécue en 1926 et assiste à une partie de billard des Maîtres Bâtisseurs:

Un des attraits du spectacle, c’était les traces que les boules laissaient derrière elles quand elles roulaient sur le tapis ou bien entraient en collision, ricochant contre les bandes en formant des pentagrammes pointus avec leurs trajectoires qui se croisaient. L’autre attrait de la partie, nettement plus inquiétant, venait de la façon dont chaque boule possédait sa propre aura, ce qui fait que vous saviez qu’elle représentait quelqu’un, ou quelque chose. (p.131)

4.Une croix à l’endroit où l’on visite les Boroughs avec le moine Peter en l’an 810. Un ange lui a donné pour mission de transporter une croix de Palestine jusqu’au centre du pays:

Le dernier mot qu’il prononça fut Jérusalem. (p.160)

John Coulthart

5.Les temps modernes où le comédien surnommé Avorge (découvrirez-vous qui se cache derrière ce pseudonyme?), en 1909 à Northampton, fume devant le théâtre où il doit se produire, nous livrant ses réflexions sur la vie, la mort, la pauvreté, puis rencontre May Warren Vernall, âgée de 20 ans comme lui, et sa divine fillette de quelques mois prénommée elle aussi May.

Certains des anciens qu’il croisait pendant les tournées estimaient que ça bardait entre l’Angleterre et l’Allemagne et que tôt ou tard il risquait d’y avoir une guerre. il allait avoir 21 ans en avril prochain et il serait alors majeur, n’ayant encore jamais eu 21 ans et tout ça,  mais il serait alors en âge d’être enrôlé dans l’armée s’il se passait quelque chose. (p.169)

La pièce « Mumming birds » de Fred Karno

6.Aveugle, maintenant je vois où, au même instant, Henry, l’émigré américain de couleur, sillonne les Boroughs à bicyclette en pensant à sa jeunesse au Kansas, puis découvre que le révérend John Newton qui a écrit le cantique « Amazing Grace » était marchand d’esclave avant d’être prêtre.

Sa propre marque était juste là sur son épaule gauche, où on l’avait gravée au fer quand il avait sept ans. (…)Il attendit que la sagesse et la compréhension répondent à toutes les questions dans son coeur, concernant John Newton, concernant tout.

Marques de négociants d’esclaves

7.Atlantis où, en 2006, Benedict Perrit, qui se targue d’être un poète publié, s’éveille et démarre sa journée, l’anthologie des poètes anglais sous le bras, à dépenser au pub les dix livres que mère lui fournit quotidiennement. Son héros de toujours est le poète romantique John Clare (XIXe). Au soir, les errances de cette journée pourraient bien s’étaler enfin sur le papier…

Six choses, donc, dont Ben Perrit était complétement incapable : fuir, trouver un boulot, s’expliquer correctement, ne pas avoir l’air bourré, parler à des filles et écrire des poèmes. (p.257)

John Clare peint par Thomas Grimshaw, 1844

8.Fais ce qui te chante où l’on fait la connaissance de Snowy (fils de Ern) Vernall, l’initié. Il voit les fantômes et reconnait les évènements lorsqu’ils se produisent. Il revit l’accouchement dans la rue de sa femme Louisa, alors qu’il est lui-même perché sur un toit.

Quand les autres évoquaient de rares et troublantes impressions de déjà-vu, il faisait la moue, conscient de rater quelque chose, non parce qu’il était étranger à de telles sensations, mais parce que c’était la seule chose qu’il ait jamais connue. (p.259)

William Blake, Satan Smites Job, 1826

9.La brise qui dérange son tablier où l’on assiste à un nouvel accouchement, celui de May Warren (fille de Louisa), à la courte vie de la petite May et à son décès. Où l’on rencontre aussi la matrone Mrs Gibbs.

La tête de l’enfant évoquait un bouton de rose : bien qu’encore tout froissé, May savait qu’il allait éclore de façon splendide. Ses yeux, du bleu spectral des oeufs de rouge-gorge, étaient gros comme des broches, fixés sur ceux de May.Leur couleur allait parfaitement avec les cheveux orange feu du nouveau-né, un ciel d’été clair au bout de la rue, encadré par la brique de Northampton que baignaient les derniers rayons d’un soleil couchant. (p.287)

Lucienne Antoinette Heuvelmans (1885-1944), Vierge à l’enfant (bronze et ivoire)

10.Entendez cet air joyeux! où Tommy Warren, fils de la vieille May et du vieux Tom (chapitre précédent) fume devant l’hôpital en attendant la naissance de son premier enfant avec Doreen en 1953. Il se souvient de ses premières découvertes en mathématique à l’âge de huit ans, aidé de son grand-père Snowy et évoque celui qui pour lui est l’âme des Boroughs, Philip Doddridge.

Il se rappelait l’excitation qu’il avait ressentie, le vertige, le pur plaisir de la découverte lui revenant aujourd’hui dans une bouffée odorante de cake, de piment de la Jamaïque, de zeste confit et de pommade. (p.322)

Philip Doddridge (1702-1771), théologien presbytérien, auteur de nombreux cantiques

Tommy se souvient aussi de la nuit où il a entendu l’air que sa cousine Audrey jouait en boucle désespérément…

11.En travers de la gorge où le visage* de Mick (Michael) Warren (fils de Doreen) est aspergé de poudre toxique et qu’il se réveille avec d’étranges souvenirs de ses trois ans, quarante ans plus tôt, après une Near Death Experience.

La porte de la cave de son inconscient s’ouvrit en grand, beaucoup plus grande que ce qu’il avait imaginé, l’emplissant d’images, de mots et de voix, dans la langue d’une expérience étrangère. (p.374)

(à suivre : https://culturieuse.wordpress.com/2018/09/06/jerusalem-dalan-moore-livres-2-et-3-suite/)

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