Du 20 au 26 février 2025, Grand Théâtre de Genève (distribution)
Production, dirigée par Emmanuelle Haïm et mise en scène par Franck Chartier (de la célèbre compagnie belge Peeping Tom),
J’assiste rarement à des opéras et donc ne ferai aucun commentaires sur l’aspect musical de cette pièce. Une chose cependant, je m’attendais à être particulièrement bouleversée par l’air final chanté par Didon, ce qui n’a pas eu lieu, même si je l’ai aimé. Les ajouts et improvisations musicales de Atsushi Sakaï parsemant la pièce ne m’ont ni dérangée, ni époustouflée. Ces pièces contemporaines étaient de fait liées à la mise en scène avant-gardiste de Frank Chartier et de sa compagnie Peeping Tom, donc pertinentes. Il semble d’ailleurs que « la structure musicale que l’on connaît soit une construction partiellement anachronique, qui repose sur un manuscrit postérieur de plus d’un siècle à la date de création, avec une bonne partie de la musique perdue« . (ICI une critique pointue de la performance musicale)
Puissamment interprétée, l’oeuvre baroque de Henry Purcell est ici déconstruite, approfondissant le personnage de Didon, reine de Carthage, en la dédoublant. Il y a en effet deux reines: celle qui chante la partition de Purcell et une Didon vieillissante, elle aussi veuve, vivant dans le décor austère d’une élite bourgeoise et nantie, entre de sévères tableaux anciens et des bibliothèques en bois.

Les artistes de Peeping Tom animent cette scénographie (de la plasticienne Justine Bougerol) de leurs danses contorsionnistes, tout en faisant vivre les objets qui la définisse. Ainsi les tableaux bougent avec les corps, leur intimant des postures. Le lit, garni de plusieurs couches de draps blancs immaculés, devient une scène en lui-même, accueillant les protagonistes en des moments cruciaux. Le petit salon semble un lieu réservé au chant de la partition originale de Purcell. Il est lui aussi perverti par des évènements étranges: la théière sans fond, la mousse sur le violoncelle. On se retrouve dans un monde onirique à la Lewis Caroll, dont le surréalisme est entretenu par la danse démantibulée des domestiques de la vieille reine despotique et névrosée.
La reine vit sous le regard du « parlement » (le choeur), installé dans un balcon en hémicycle surplombant le plateau. Surveillant la souveraine et sa promesse de ne pas se remarier. Elle est en proie à ses souvenirs, déchirée entre ses regrets et ses émois présents. Son effondrement est symbolisé par l’ensablement progressif de la scène, entraînant sa psyché (la chambre et les personnages) dans un étouffement croissant et irréversible.

Ce sont véritablement des litres de sable qui sont déversés sur le plateau, s’infiltrant par les interstices des parois ou ruisselant du plafond. Images impressionnantes, suivies d’une fin apocalyptique, que je ne m’aventurerai pas à commenter. Malgré sa brillante et cruelle intensité, son sens m’est apparu assez obscur.
Guère habituée à fréquenter les opéras, mais fervente spectatrice de théâtre contemporain, j’ai beaucoup apprécié cette esthétique déconstruisant l’oeuvre du XVIIe pour la mêler au XXIe. Une version proposant une perception approfondie du personnage féminin, empêtrée entre son pouvoir et ses sentiments. Les oeuvres fortes n’ont pas d’âge et résonnent tout autant aujourd’hui qu’hier, éclairées par les artistes du présent.
Les prochaines représentations (allez voir cette extraordinaire création) ont lieu en mai et juin 2025 à Bâle.
Ce tableau (voir image d’en-tête), l’un de ceux ornant les cimaises de la scène, reflète le désir d’enfant inassouvi de Didon, tout en montrant une femme peintre assumant avec fierté son statut d’artiste, hors des normes de son époque. Ce qui n’a certainement pas été établi sans douleur.


Surpris par la remarque sur l’air finale – et touché par ta dernière phrase. Bizz
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Oui on dirait qu’il n’a pas fonctionné à plein avec mes émotions. Mais peut-être
l’ambiance du spectacle y est-elle pour quelque chose?
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Certainement !
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