Bourse de Commerce, Collection Pinault, Paris, jusqu’au 20 janvier 2025
D’aucun.e.s se sont déjà trouvés confronté.e.s à une oeuvre de ce mouvement, né au milieu des années 1960, s’interrogeant sur son sens et sa pertinence à l’intérieur d’un musée d’art. Au regard de ce que l’on perçoit de ce qui est nommé actuellement art contemporain, peut-être est-on tenté de ranger cette mouvance avec certaines installations rencontrées au gré des salons qui ne nous évoquent pas grand chose de plus que ce que nous rencontrons habituellement dans la vraie vie en tant qu’entassement de déchets ou amas de rebuts…
Cette exposition révèle une partie des racines d’un art divergent qui privilégie le processus créatif à l’objet fini. Distinct de l’art qui expose des tableaux accrochés aux cimaises des galeries et des musées, l’Arte Povera n’en est pas moins une évolution de l’art dans son attitude sociale, sa richesse étant incluse dans la pauvreté de ses moyens.

Cette exposition recueille une cinquantaine d’oeuvres du travail de treize artistes italiens ayant matérialisés leurs ressentis de l’énergie des univers humain, végétal, animal et minéral, au moyen de matériaux simples, ruraux ou urbains, sans distinction entre le naturel et l’artificiel. Comme dans notre vie réelle, quoi!
Au coeur de la Rotonde qui accueille le public sont déposées des oeuvres significatives de l’Arte Povera. On en discerne une partie tandis que certaines se découvrent plus difficilement, noyées dans l’architecture du lieu, telle que Lo Spazio de Giulio Paolini, huit lettres disséminées sur le mur arrondi, ou encore de petits paquets de plomb, ou une boussole, définissant discrètement l’espace à visiter.
C’est l’horizontalité et l’esprit collectif qui priment pour ces artistes. D’ailleurs, ils voient leurs travaux comme champs d’énergie à traverser. L’artiste Luciano Fabro l’a nommé Lo Spirato (1968-1973), un lieu à traverser rendant le public réceptif et conscient. Précurseurs d’un art actuel, ils créent des « situations réelles », anticipant les premières installations d’art contemporain. Aucune représentation figurative, mais une intention de réflexion, une proposition interrogative à base de matériaux tout-venant.
Quelques explications:
Penone choisit une poutre de bois (ici sapin) et en examine les cernes correspondant à la vie de l’arbre, puis il choisit une année et suit le cerne jusqu’à retrouver l’aspect de l’arbre à ce moment de sa jeune vie.
Pistoletto réunit des chiffons et des bouilloires. Son symbole des trois paradis, trois cercles en ligne continue, signifie la créativité collective, la renaissance de la planète, la liberté et la paix: 1.la Nature, 2.l’artifice humain, 3.l’évolution commune de l’intelligence non-humaine (naturelle) et humaine (artificielle).
Boetti privilégie le processus de création à l’objet fini ainsi que son sens plutôt que son esthétique. Ici, ce sont 111 boules de ciment à séchage rapide moulées à la main et un papillon du chou qui ne manquent pas d’humour pour évoquer simultanément le travail manuel et le repos estival.
Fabro crée cette pièce de marbre en forme de gisant, une forme ancienne qu’il dénature entre présence et absence, vide et plein. Il exprime ici son scepticisme face à l’essor de l’art conceptuel censé dématérialiser l’oeuvre d’art en faisant preuve à la fois de technique et de conceptualisation.
Pascali rejoue ses souvenirs d’enfance en assemblant divers fragments, entre armes jouets et armes de son père policier. 1965 est le début des bombardements au Vietnam. Décédé en 1968, il laisse une oeuvre en plein essor où il s’interrogeait sur les liens entre nature et culture.
Ce dessin de Marisa Merz fait à la mine de plomb n’est pas sans évoquer ses sculptures en alu. Elle passera ensuite au trames de cuivre, de laine, etc. Son oeuvre est singulière et poétique.
Tout autour de la Rotonde, dans les merveilleuses vitrines anciennes du couloir qui l’entoure, sont exposées quelques affiches, documents et extraits d’oeuvres précédant ou prolongeant le mouvement. Comme CoBrA ou Gutaï ou la sculpture Walking Man de Anna Boghiguian.
Après cela il nous reste tout de même trois étages à voir (et à lire)!
L’espace consacré à Marisa et Mario Merz débute par les igloos archétypaux en diverses matières (argile, tisssu, plastique, verre…) de ce dernier, abris, matrices et voûtes célestes à la fois. La suite mathématique de Fibonnacci, où chaque nombre est la somme des deux précédents, est pour lui symbole de l’énergie de la matière et de la croissance organique du monde. Crocodilus Fibonacci, animal naturalisé d’une espèce vieille de cent millions d’années, pond la suite exponentielle des nombres au sein du monde vivant. L’artiste la transcrit à l’aide de néons, une énergie qu’il prétend aussi naturelle et artificielle que l’éclair de l’orage.
Bon je m’aperçois que j’ai pris plus de photos du travail de Madame que de Monsieur…
Autre espace, celui consacré à Jannis Kounellis. Pour lui l’authenticité, la matière et le poids moral et physique des choses sont importantes. Il utilise le feu, la laine brute, le coton, la jute, café, plantes, animaux pour créer des scénographies dans l’espace muséal dans lequel le public devient un protagoniste de l’oeuvre.
Les tableaux miroirs de Michelangelo Pistoletto, ludiques en ces temps d’ego portraits, intègrent les regardeur.euses à l’intérieur de l’oeuvre. Je me suis ainsi retrouvée inclue dans le trio Penone, Anselmo et Zorio. Moment fort!

Mais ce trio en sérigraphie rappelle celui de Piero Della Francesca dans une Flagellation du Christ que Pistoletto a vue avec son père et qui fut pour lui une révélation. Trois personnages en conversation durant un évènement dont ils ne mesurent pas les conséquences.

C’est le concept du passage de la vie dans l’art, du portail qui intéresse l’artiste. Utilisant des matériaux pauvres, il crée des visions inédites de l’espace. En 1991, il met en oeuvre son projet de genèse d’une nouvelle société: la Cittadellarte, à Biella,
Le projet de Cittadellarte – Fondazione Pistoletto, représenté dans l’exposition par une maquette, prolonge l’identité et les idéologies de l’artiste, devenant ainsi une œuvre d’art totale qui englobe l’art, l’architecture et la participation publique. Les initiatives promues par la Fondation concrétisent l’idée de la « Démopraxie » (du grec demos, peuple, et praxis, action), c’est-à-dire la mise en œuvre de pratiques démocratiques et collaboratives au sein de la société, par l’art.
La série de « tableaux miroirs » de Michelangelo Pistoletto est conçue par transfert d’image sur une plaque d’acier inoxydable polie, le but étant d’en faire un passage spatial et temporel pour le public.
La « Vénus aux chiffons » est une critique de la société de consommation (fastfashion). Sa version monumentale fut vandalisée en 2023 à Naples.
La boule de papier journal a été utilisée pour des performances et roulée à travers la ville.
La série des QR codes est elle aussi une référence au passage, celui-ci vers l’intelligence artificielle puisqu’en scannant l’une des six oeuvres vous pouvez accéder à des textes produits par l’IA au sujet des oeuvres de l’artiste.
Alighiero Boetti s’intéresse aux gestes répétitifs et simples, ainsi qu’à ceux impliquant des juxtapositon et empilements. Il rejette l’idée du « génie artistique qui invente de nouveaux concepts » et prône une réinvention anti-intellectuelle du monde.
L’espace suivant expose un artiste que l’on connait bien à lausanne grâce à la mécène Alice Pauli : Giuseppe Penone (article ICI). L’artiste expérimente la relation entre le monde végétal et l’être humain, s’opposant à l’anthropocentrisme. La peau et l’écorce deviennent ainsi des espaces de rencontres. L’empreinte de son corps sur un tas de feuilles mortes, celle de sa main agrandie, la copie à l’identique d’un rocher, une paupière fermée reproduite avec des épines d’acacia, son souffle moulé dans la terre, un jardin mêlant empreintes de corps-écorces et plantes vivantes, toutes formes minérales et végétales l’intéressent.
Giovanni Anselmo est, semble-t-il, l’artiste emblématique de l’Artre Povera. Son oeuvre se veut être un concentré des énergies du monde naturel. Pierres, aiguilles magnétiques, terre, pigments bleu outremer, mots projetés constituent des incarnations poétiques des champs énergétiques.
Que fait cette laitue sur ce bloc de granit? sa fragilité compressée, lorsqu’elle flétrit, entraîne la chute du petit bloc qui la soutient grâce au fil de cuivre. Un équilibre précaire à renouveler sans cesse malgré l’immuabilité de la pierre.
La grande pierre de luserne triangulaire penche à un millimètre du carré bleu de son sommet, retenue par un câble d’acier. Anselmo utilise la couleur bleu (lapis lazuli) dès 1979, mêlant terre, minéraux et mer.
Une partie de l’oeuvre de Gilberto Zorio se trouve au niveau inférieur du bâtiment. L’artiste déploie sa pratique à l’aide de matériaux industriels, fasciné par les processus naturels, la transformation alchimique et la libération d’énergie.
Thèmes récurrents, le javelot, beauté absolue peaufinée par l’humain au fil des siècles, symbolisant l’élan, mais aussi l’étoile, figure cosmique, pour lui l’imaginaire populaire et public, et la lumière comme métaphore de l’illumination de l’esprit. L’oeuvre Tenda relie la mer, l’eau salée, le temps, l’abri, la tempête. Piombi II est une pile électrique reliée par des fils de cuivre à deux récipients contenant des substances se colorant différemment.
L’après Arte Povera peut se voir dans cet hommage à Zorio de Leotta, deux lignes sur la couleur bleue du coton évoquant la marée en Sicile.

De cette très riche exposition sur « l’art pauvre » , il manque quelques participants, tels que Pier Paolo Calzolari (glace et lumière), Giulio Paolini (moulages de plâtre, etc), Emilio Prini (machines de reproduction).
Merci d’être encore là! Au vu la longueur de cette chronique et de son thème, on pouvait en douter.
Bonne année 2025 à toustes!




















Mauvaise manipulation! J’ai dû poster l’article sans m’en rendre compte…il n’est pas terminé!!😱
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Voilà, l’article est entier ou du moins tel que je le conçois…
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