« The Confessions » Alexander Zeldin

A la Comédie de Genève du 8 au 12 novembre 2023

C’est une vraie vie, une vie simple, que le metteur en scène britannique Alexander Zeldin veut décrire. La base en est celle de sa mère qu’il a interrogée durant de longs entretiens. Après le monde ouvrier, les situations précaires, la vieillesse et la mort, il s’attache ici à l’existence d’une  femme née dans les années 40 et à son parcours, émaillé d’épreuves, pour tenter de réellement s’épanouir. Partant de l’intime, son destin est retracé au travers des années, orienté par des choix plus ou moins influencés par la parentèle, la société, les usages et les pressions.

La scénographie montre tout, l’envers et l’endroit. Elle est cadrée par un décor de théâtre, une scène sur la scène, où  Alice est le témoin de sa propre vie, ce qui lui permet même (joli cadeau) de tenter une résilience grâce à la mise en scène. La jeune Alice (Eryn Jean Norvill, fabuleuse) vit sur scène l’existence de la vieille Alice (Amelda Brown, saisissante) qui la contemple.

The Confessions d’Alexander Zeldin – Photo © Christophe Raynaud de Lage

Au début, Alice, perpétuellement souriante, est fragilisée par son échec à l’examen d’entrée à l’Université. Elle agit sous les incitations de sa mère qui lui conseille la sécurité d’un foyer, puis sous l’autorité d’un mari maladivement égoïste puis violent. Les normes de son éducation et de la société ont infiltré son esprit et donc ses choix. Mais une force la propulse, celle d’une profonde nécessité. Elle n’est pas si fragile au fond, juste sous influence. Cassavetes a décrit cela aux abords de la folie. Alice, elle, a la force de soulever peu à peu le voile qui obscurcit son destin. La violence conjugale, le divorce, un viol, un deuil, des blessures qu’elle surmonte, portée par ses aspirations. Les épisodes de violence conjugale et de viol sont délibérément cachés, silencieux ou non joués.

The Confessions d’Alexander Zeldin – Photo© Christophe Raynaud de Lage

Avec une scénographie si originale tout en étant hyperréaliste et des comédien.ne.s excellents, la pièce emporte le public. Les protagonistes arrivent de la salle, comme pour souligner une association avec des gens ordinaires. Les évènements historiques qui traversent le XXe siècle sont présents en filigrane.La pièce montre avec perspicacité la nébuleuse emprise qu’a subi la condition des femmes. Partant d’une éducation où l’on a voulu protéger en normant, il advient des  personnalités victimes, hélas, de leurs propres choix. Ce que subissent aussi les masculinités sous d’autres formes: le mari est soldat au Vietnam, mais « planqué », ce qu’il réfute. Alice rejette violemment sa mère, à laquelle elle fait endosser toute la faute, femme d’une autre époque n’ayant pas su faire confiance à son enfant (et peut-être aussi un peu jalouse de cette liberté qu’elle-même n’a pas exercée).

Cette pièce, du théâtre en forme d’hommage à une vie simple, est aussi un récit politique où l’on peut contempler les diktats et les injonctions sournoises d’une société que l’on souhaite en voie de disparition. S’en émanciper, entre autres en faisant actes de mémoire, est déterminant. Comme le Pierrot de Watteau qu’elle admire tant, Alice a failli baisser les bras. Elle a fini par s’extraire d’une rigidité acquise et ôter son costume immaculé pour exister.

Antoine Watteau, Pierrot, 1718-1719 (musée du Louvre)

 

 

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