« Drive your Plow over the bones of the dead » Olga Tokarczuk et Simon McBurney

D’abord la littérature.

Olga Tokarczuk (1962, Pologne) étudie la psychologie à l’Université de Varsovie et termine par une thèse de doctorat sur CG Jung. Après quelques années de pratique en psychothérapie, elle se consacre à l’écriture. Elle obtient le prix Nobel de littérature en 2018. Elle s’engage pour la défense des minorités discriminées et, par là même, pour le féminisme.

L’histoire: Janina Doucheyko vit seule dans un petit hameau de montagne au cœur des Sudètes. Ingénieure à la retraite, elle se passionne pour la nature, l’astrologie et l’œuvre de William Blake. Un matin, elle retrouve un de ses voisins mort dans sa cuisine, étouffé par un petit os. C’est le début d’une longue série de crimes mystérieux sur les lieux desquels on retrouve des traces animales. La police enquête. Les victimes avaient toutes une passion dévorante pour la chasse. Pour Janina, c’est clair: les animaux se vengent.

Voici donc un thriller par lequel l’écrivaine polonaise distille son amour pour les animaux et l’environnement. L’écriture en est riche et poétique, teintée d’humour noir et de réflexions philosophiques. Un véritable régal. L’atypique narratrice du roman est une femme âgée cultivée, vivant dans un lieu de villégiature estivale déserté en hiver, hormis deux voisins plutôt distants. Elle est aussi drôle que têtue et n’a pas sa langue dans sa poche. Incipit :

Je suis à présent à un âge et dans un état de santé tels que je devrais penser à me laver soigneusement les pieds avant d’aller me coucher, au cas où l’ambulance viendrait me chercher en pleine nuit.

photo © Alex Brenner

Et puis le théâtre.

Simon McBurney (dont nous avions énormément apprécié « The Encounter » en 2015) adapte ce livre-portrait pour la scène. La pièce est à voir du 14 au 21 octobre 2023 à la Comédie de Genève.

Comme dans le livre, c’est Janina Doucheyko qui se charge de raconter l’intrigante et sordide histoire qui perturbe la petite communauté proche de son lieu de vie. Elle est interprétée par une merveilleuse comédienne, en l’occurrence Amanda Hadingue.

D’ailleurs, elle arrive sur scène sans tambour ni trompette, en parka jaune et pantalon violet, un sac plastique à la main (!), et s’adresse au public par un micro sur pied centré en bord de scène. Derrière elle, neuf chaises de bois sur lesquelles s’installent des silhouettes encapuchonnées de noirs anoraks. Se partageant les différents rôles, iels font partie intégrante des protagonistes tout en animant le décor de la pièce.

Le fond de scène est un cyclorama sur lequel seront projetés images et vidéos d’ambiance,   filmages en direct depuis les cintres ou encore des citations de William Blake (que Janina tente de traduire avec son ami Dyzio). Les roues du zodiaque y dansent leurs rondes astrologiques que l’héroïne étudie avec passion. A d’autres moments une paroi transparente fait office de séparation entre deux secteurs permettant un double récit.

La scénographie nous emmène ainsi dans les lieux de vie de la narratrice, mais également dans son monde intérieur et onirique. De véritables chorégraphies sont interprétées par le choeur des comédien.ne.s, vols d’oiseaux-livres ou bois des biches, et ce superbe moment où les mains telles des planètes encerclent la conteuse.

Bruitages et musique contribuent à l’atmosphère mystérieuse de cette sombre histoire de « meurtres pleins d’humanité« … On y retrouve l’atmosphère spécifique de l’oeuvre littéraire (qu’il faut lire absolument). Simon McBurney et sa troupe Complicité, ont su la retracer avec fidélité, en une narration scénique originale dotée d’une esthétique remarquable.

© Alex Brenner

Les citations qui ponctuent le livre et la pièce sont tirées de l’oeuvre immense de William Blake:

Toute chose qu’on peut croire est une image de vérité.

Les tigres de la colère sont plus sages que les chevaux de l’éducation.

Un rouge-gorge mis en cage, Et voilà tout le ciel qui rage.

William Blake (citations)

Cette oeuvre est un très beau moment de théâtre. Ayant lu le livre (pour la 2e fois) avant la représentation, je me demandai comment il était possible de le mettre en scène sans l’amputer de sa poésie, en conservant l’angle du thriller et en sauvegardant la sympathie du spectateur pour ce personnage principal si riche et particulier. Et bien, c’est une réussite et elle est saisissante. Quelques astuces, des effets visuels, des costumes multifonctions, quelques chaises, de la bonne technologie, ajoutez-y ce formidable personnage de militante animaliste et une troupe efficace, et Simon McBurney, en raconteur d’histoires virtuose, emporte un public conquis. Même si la fin décevra peut-être certain.e.s puisqu’elle nous replace dans une triviale réalité que nous avions oubliée de bon coeur.

 

 

 

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