« Human in the loop » Nicole Seiler

A L’Arsenic-Centre d’art scénique contemporain, vu le 1 octobre 2023

Avec Clara Delorme, Gabriel Obergfell. Photos Julie Masson.

A l’instar de Gilles Jobin et son expérience virtuelle de V-RI, de Simon Senn et son appropriation d’un corps virtuel dans la pièce Be Arielle F, puis de ses dialogues avec l’Intelligence Artificielle dans dSimon , une nouvelle expérience avec l’IA est ici examinée par la chorégraphe suisse Nicole Seiler, qui utilise la technologie dans ses créations depuis le début des années 2000 de diverses façons.

Un carré dessiné au sol détermine une superficie. Une table technique manipulée par trois personnes est disposée à vue côté cour. Sur la base de consignes générées par cette IA pendant la représentation, la pièce est découverte en live par les interprètes. Le danseur et la danseuse suivront les consignes envoyées par l’AI dans leurs oreillettes.

Le public suit alors une progression où, peu à peu, il entre dans le processus de la pièce. En premier lieu, les intervenant.e.s bougent en silence. On les voit écouter une indication, puis la reproduire en mouvements. Une pièce se constitue. Revenant ensuite dans leur posture de départ, iels recommencent la pièce précédente cette fois-ci accompagné.e.s de sons (grésillement, chocs). Au troisième passage, les instructions sont audibles. « (…) puis un léger tremblement s’amorce depuis la tête…regarde le sol…le public… un oiseau qui vole (…) ». Durant le passage suivant, la voix intervient épisodiquement, quelquefois les danseur.euse.s répètent à voix haute ce qu’ils entendent.

Ce qui pourrait sembler légèrement robotique à priori, du fait de l’écoute silencieuse et immobile suivie de l’action, devient sensiblement fluide. Les voix se mêlent, les lumières changent, de nouveaux sons émergent. Iels sont « des entités séparées qui communiquent à l’aide de l’interface »  déclare la voix. De nouvelles consignes sont dictées, requérant l’imagination du public. Mais d’où provient cette phrase marquante de la voix de l’IA: « mouvement doux comme une caresse sur du savon de Marseille »?

Lorsque les directives se font plus générales, la liberté des interprètes est plus présente: feu feuille fleur explosion… Iels sont moins enserré.e.s par des consignes précises et dansent les mots à leur manière, librement.

Il doit y avoir, en amont de cette représentation qu’iels découvrent en live, un gros travail préalable sur les mots dictés et leur interprétation dansée. Ce qui aurait pu sembler inhumain, une chorégraphie imaginée par une technologie, se transforme avec harmonie et cohésion en gestes et postures qui se répondent avec grâce. Le cheminement entreprit au cours de la pièce mène à un accord entre cette voix artificielle et les artistes. L’enfermement dû aux ordres, finalement, a engendré une création harmonieuse. N’est-ce pas l’aboutissement de l’art que de se libérer des indispensables contraintes d’une technique d’apprentissage?

Cette expérience trouve son intérêt dans son objectif: Quelle oeuvre d’art dansée est-il envisageable de produire en lien avec l’IA? L’apprentissage automatique de la machinerie IA rend les actions qu’elle régit souvent absurdes, l’image chorégraphique en est rendue cocasse, qualité non négligeable. Ce choix automatique des données enregistrées ne permet pas d’autre narration et c’est ce qui m’a peut-être manqué, malgré l’excellence des deux interprètes. Pour moi, cet exercice pourrait s’apparenter aux cadavres exquis des surréalistes ou au théâtre de l’absurde tel que j’ai pu le voir par exemple chez Forced Entertainment Company. Au final, une expérience intéressante et ludique.

 

Laisser un commentaire