avec Sandra Hüller, Swann Arlaud, Milo Machado Graner, Antoine Reinartz, Samuel Theis, Jehnny Beth, 2h30.
Justine Triet, brillante réalisatrice de ce film, aborde des thèmes complexes avec finesse et intelligence: le couple, l’enfant en son centre, la rivalité d’un homme et d’une femme, la réussite de l’une, la frustration de l’autre, l’inversion des attitudes traditionnelles au sein de ce couple, l’enfant malvoyant qui cherche à voir, à comprendre, l’équilibre instable de la répartition des tâches, la bataille de cet homme et de cette femme pour exister aussi autrement qu’en tant que parents, les barrières de langues (français, allemand, anglais), le duo mère et fils et leurs confiances (ou non) réciproques, le dévoilement d’une intimité violente lors du procès, le déploiement judiciaire pour atteindre une « vérité » peut-être aléatoire.

Un procès comme une scène de théâtre: Antoine Reinartz, un procureur terriblement acharné et proche de la méchanceté, crâne rasé et verbe haut; Swann Arlaud, un avocat d’apparence peu virile, une force tranquille. Et Sandra Hüller, jouant la mère, finalement accusée d’homicide, jonglant entre ses rôles d’épouse et de mère, sous les yeux de son fils qui découvre l’intimité devenue violente du couple de ses parents. Une femme forte, puissante, aux antipodes d’une victime du patriarcat, pourtant fragilisée par sa langue qui n’est pas celle du tribunal et son besoin de préserver son fils. Sa personnalité ambigüe, montrant peu d’émotion, ne joue pas en sa faveur. Son métier d’écrivain de fiction pourrait même ébranler l’image d’une éventuelle innocence. Ce procès, qui ne peut montrer que partiellement le récit de ce couple, est-il véritablement à son image? la scène cruciale d’une dispute enregistrée par le mari à l’insu de son épouse est-elle un critère raisonnable de leur mode de vie? Que dévoile cet épisode? Qui manipule qui? Qui frappe qui? Quelle part de vérité et quelle part de fiction? Le père n’aurait-il pas eu des raisons de se suicider? la mère n’en aurait-elle pas eu de le tuer?
La musique. Au début c’est une ritournelle lancinante (“P.I.M.P” de Bacao Rhythm & Steel Band) que le mari, hors-champ, fait jouer à fond, interrompant l’entretien qui a lieu au rez-de-chaussée entre les deux femmes, une manière de gêner passive-agressive. Puis c’est le morceau de piano que répète inlassablement l’enfant, « Asturias (Leyenda) », dans sa partie fébrile, presque irritante. La mère tente d’ailleurs de lui faire jouer un morceau de Chopin (« Prélude en Mi mineur op. 28 n°4), plus serein, sans y parvenir. Comme si Daniel ressentait un environnement qui s’embrase sans aucun autre pouvoir de l’évacuer à part au piano.
Et un chien, un border collie, Snoop, le chien-guide de l’enfant mal voyant. Pour la petite histoire, il a d’ailleurs gagné la Palm Dog 2023. L’animal est un personnage important du film. Il est le regard de l’enfant, il agit lors de scènes essentielles. Première scène du film: la balle dévalant l’escalier suivie par le chien pendant le dialogue de Sandra avec l’étudiante. C’est le chien qui découvre ensuite le corps inanimé du père. Puis l’enfant risque la vie de son chien adoré pour mettre une preuve en évidence. Dernière scène: Sandra est couchée sur un canapé, Snoop vient s’allonger contre elle.
La première partie du film montre les faits, la seconde, le procès. Justine Triet a coécrit le scénario avec Arthur Harari, son compagnon dans la vie.
« La question de l’égalité, de la parité dans le couple est au centre, et questionne cette utopie-là : de vivre ensemble et d’avoir une position égale. C’est une question passionnante, qui, moi, en tout cas m’intéresse beaucoup, et je la trouve aussi très contemporaine ».
Finalement, un parti pris du scénario qui laisse le public choisir son camp. Suicide, homicide, accident? Il faut voir ce film admirable pour se faire sa propre idée. Du fait de ma méconnaissance technique, je ne me permet pas de parler de l’image, du filmage et du montage, qui me semble d’une habileté impressionnante. En revanche, je trouve que, au-delà de tous les talents qui participent à la réussite de ce film, le jeu de Sandra Hüller est incontestablement formidable. Pour moi, ce film n’est rien de moins qu’une création magistrale.


S’il n’était pas déjà sur ma liste des films à voir je l’y mettrais après la lecture de ton avis. Merci !!
J’aimeAimé par 1 personne
Oui il en vaut largement la peine. Et tu sais que je ne m’aventure guère dans la chronique de cinéma habituellement. Je pense que ce film ressemble à ce que j’aime au théâtre.
J’aimeAimé par 1 personne
Merci pour cette critique approfondie. Les avis sur ce film (que je n’ai pas vu) sont très partagés.
J’aimeJ’aime
Prévu cette semaine, sans hésitation
J’aimeJ’aime
Merci pour ton analyse ! Film à voir, assurément.
J’aimeAimé par 1 personne
Non seulement ce film est plein d’idées cinématographiques, mais il engage à la réflexion. ☺️
J’aimeAimé par 1 personne
Comme tu l’as peut-être lu chez moi, je suis beaucoup moins séduit par cette proposition d’autopsie du couple. La faute peut-être à des choix de mise en scène peu séduisants, et surtout à des personnages qui me sont restés étrangers.
Je reconnais néanmoins le talent de Justine Triet dont j’ai aimé les deux précédents films.
J’aimeAimé par 1 personne
J’ai vu dernièrement la bataille de Solférino. Un film avant-gardiste dans sa forme il me semble. Mais tu es bien plus calé que moi en cinéma!
J’aimeAimé par 1 personne
C’est le Triet qu’il me reste à voir. Malgré la semi-déception que fut « Anatomie d’une chute », il me tente bien.
J’aimeJ’aime
C’est un film est très énervant. Mais j’aime bien Macaigne.
J’aimeAimé par 1 personne