« Love is a river » d’Alexandre Doublet § Platonov

Photo ©Gregory Batardon

Au théâtre de Vidy-Lausanne du 8 au 11 mai 2019

Dans la semi-obscurité de la salle qui s’emplit peu à peu de spectateurs, je distingue une salle à manger limitée par deux parois en forme de L. Une silhouette féminine, debout, me tourne le dos. Les quatre autres m’apparaitront progressivement. Le sol du plateau, lisse et brillant, est recouvert d’eau. La dernière forme humaine que j’aperçois est étendue, comme à demi absorbée par le plancher.

Lumière et musique s’accroissent simultanément. Je découvre la décoration d’un appartement bourgeois, une longue table dressée, un miroir, quelques meubles, des portraits accrochés aux murs, ainsi que des fusils et trophées de chasse.

C’est la lumière et ses reflets aquatiques qui me porteront durant ce spectacle, la beauté envoûtante de ses halos bleutés, le miroitement de ses ondulations, ses rayonnements irisés, ses teintes verdâtres et marécageuses.

Place aux mots, place à la pensée! semble m’exhorter le metteur en scène. La musique donne le ton, dramatique. Les voix, elles, passent par l’enregistrement monocorde des réflexions mentales des personnages. Eux, muets, englués dans leurs pensées, se meuvent au ralenti hors du temps, comme suspendus dans une boucle spatio-temporelle.

Le texte donc. Je comprends qu’Alexandre est mort, qu’il a trahi chacune des trois femmes, et l’homme aussi, pourtant son ami. Au contraire du metteur en scène, grand connaisseur de Platonov, je suis ignorante de son histoire, celle qui a eu lieu juste avant, et dont cette pièce est la conséquence. Un homme est mort, un crime a eu lieu. Ce n’est pas ce qui importe. Ce qui importe ici, ce sont les éclaboussures qui ont rejailli sur les autres, ces blessures encore à vif. Chacun des personnages ressasse son propre vécu, exprime intérieurement ses griefs et son amertume. Seulement, le texte me parait vite ennuyeux. Comme une longue plainte assaisonnée des violons dramatiques du cinéma hitchcockien.

©Gregory Batardon

Ou est-ce la lenteur des mouvements des acteurs sur scène? L’irrépressible envie qu’il se passe quelque chose. Elle a beau monter sur une table, le mort se dresser un instant, la fille croquer la pomme, la femme sortir de scène et ajouter son souffle à la bande son, rien à faire. Le sens de ces actions m’échappe. L’émotion est absente. En dehors du magnifique procédé eau/lumière, malheureusement, je m’ennuie.

J’admets un travail d’acteur important, une vision profondément sincère du metteur en scène, la cohérence de la recherche des faits qui ont abouti à ce  drame, l’accent mis sur les attentes et les frustrations inhérentes aux personnages, une scénographie superbe. Si je suis restée imperméable à ses flots tumultueux, je reconnais à cette rivière un flux esthétique concret et humaniste.

©Gregory Batardon

Alors que les dernières minutes voient les personnages reprendre un rythme normal, une voix off raconte une histoire d’amour tronqué, en forme d’abrupte et douloureuse queue de poisson. Mais il est dit que de tous les malheurs, on finit par se faire une raison. Et là, une nouvelle dimension de la pièce se développe pour moi, son sens prend forme, tandis que, ayant retrouvé sa voix, l’un des personnages prévoit qu’« il va sans doute y avoir de l’orage cette nuit. »

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L’eau purificatrice, qui absout des péchés. L’eau et ses différents états, liquide, solide, gazeux, son adaptation au milieu. La force de l’eau, sa potentielle puissance destructrice. Trois symboliques de l’eau parmi d’autres. Trois raisons majeures d’y associer le personnage de la pièce de jeunesse de Tchekhov, l’ambigu Platonov.

C’est le destin tourmenté d’un don juan de province et de pacotille, séducteur involontaire qui est tragiquement incapable de choix et de décision, autour duquel les passions se cristallisent avant de s’apaiser dans sa mort, au point culminant d’un superbe dernier acte, tout cela dans un milieu où s’affrontent anciens et nouveaux riches, où on court après l’argent, après l’amour, après la reconnaissance, où on s’ennuie (les deux premières répliques de la première pièce de Tchékhov annonçant ce qui allait être I’un des thèmes dominants de son futur théâtre), où, sur fond de perte de la propriété foncière comme dans  »La cerisaie », s’affirme la cocasserie tragique de la vie de province. André Durand sur Platonv. Cliquez pour en savoir plus sur le comptoir littéraire

Roman Signer, oeuvre sur Art Wiki.

 

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