Autour de « Lettre à D. »- Histoire d’un amour d’André Gorz
Théâtre de Vidy, du 26 février au 2 mars 2025
Avec David Geselson et Laure Mathis

Comme les étudiants qu’iels recevaient chez elleux, le public est reçu dans le salon d’André (pseudonyme)/Gérard et de Dorine/Doreen. C’est une pièce intime et chaleureuse, éclairée par des lampes de chevet, meublée de bureaux, de bibliothèques et d’une longue table garnie de boissons et de nourriture où nous sommes invités à nous servir.

Lorsqu’iels commencent à parler, qu’iels s’adressent au public, iels le font ensemble et séparément, chacun.e individuellement. Ce qui a pour résultat que l’on n’entend qu’une voix ou aucune. C’est un double monologue où nous sommes obligé.e.s de choisir notre émetteur.ice. Nous sommes ainsi incité.e.s à accéder à ce couple par leurs individualités. Malgré ou grâce à leur amour immense, les partenaires sont immédiatement différenciés en dépit de l’entité qu’iels forment depuis 58 ans.
Doreen étant atteinte d’une maladie incurable, c’est en 2006 que l’écrivain et journaliste politique publie cette « Lettre à D.« , iels se suicident ensemble un an plus tard, ayant choisi de ne pas survivre l’un à l’autre.
Il est dit que ce spectacle est composé de trois voix: celle de Doreen, celle de Gérard et celle de la Lettre à D. Ajoutons aussi celle de David Geselson, à qui l’on doit le texte et la mise en scène. Il a imaginé leurs voix, leur langage, leur intimité, à partir de petites scènes de vie quotidienne évoquées dans le livre de Gorz et aussi de ses recherches personnelles. A partir de ce qui est ignoré de D., de ce qui se lit entre les lignes, une parole confidentielle est imaginée et révélée comme un écho. Par des attitudes, des regards, des sourires ou des agacements, la complicité et l’amour qu’iels partagent nous atteignent et nous bouleversent.
Installés dans ce salon reconstitué, le public l’est aussi dans l’âme d’un couple. Eclairages (tamisés ou défaillants) et ambiances sonores (grondante, douce ou cataclysmique) s’allient pour souligner les sentiments.
Ce que Gérard a voulu en confiant leur histoire, c’est laisser une trace du rôle déterminant de Dorine dans sa vie, chose rare dans une carrière masculine. Sa notoriété d’écrivain, il veut la partager avec elle, exprimer son importance et sa nécessité. L’accès à son monde le fascine. Il voyage, il s’expatrie dans un altérité supplémentaire, description qu’il fait du paysage intérieur de Dorine. Pour lui, l’intellectuel, enfoui dans ses réflexions et son écriture, « Ce qui me captivait avec toi, c’est que tu me faisais accéder à un autre monde« . Elle est l’enracinement dans le réel, partageant sa vitalité et ses convictions: « Aimer un écrivain, c’est aimer qu’il écrive, alors écrit !« .
Pour écouter David Geselson interrogé sur son spectacle : France Culture
J’avais besoin de théorie pour structurer ma pensée et t’objectais qu’une pensée non structurée menace toujours de sombrer dans l’empirisme et l’insignifiance. Tu répondais que la théorie menace toujours de devenir un carcan qui interdit de percevoir la complexité mouvante du réel. (…)André Gorz, Lettre à D.


