Grayson Perry et Goshka Macuga « Tisser son temps »

MUDAC, Lausanne, musée cantonal de design et d’arts appliqués, du 7.11.25 au 8.03.2026

Superbe occasion d’admirer les remarquables tapisseries de cette exposition, en particulier pour moi celles de Grayson Perry que je suis depuis quelques années. (ICI un article décrivant brillamment son travail).

Perry a beaucoup questionné le goût anglo saxon. Ses reportages et articles en témoignent. Cette tapisserie intitulée « Morris, Gainsborough, Turner, Riley » est un mélange d’oeuvres dont, selon un sondage, la préférée de la population britannique: The Fighting Temeraire de William Turner. Il y ajoute une oeuvre de Gainsborough, le papier peint de Dearle et celui de Riley. Le tout retravaillé donne la tapisserie ci-dessous.

« Morris, Gainsborough, Turner, Riley », 2021, tapisserie (274x360cm)

Grayson Perry se revendique d’une culture populaire. Il utilise des supports variés comme la poterie et la céramique (vases, jarres, assiettes, etc), la gravure, l’estampe, la sculpture, des éléments domestiques comme le papier peint, les vêtements ou le mobilier. Il s’inspire de pratiques artistiques anciennes pour inscrire sa vision contemporaine du monde, tout en pêchant des références à l’histoire de l’art.

L’un de ses buts est de désacraliser le monde de l’art. Comme ses autres travaux, ses tapisseries monumentales sont des récits critiques de la société.

Modern, Beautiful and Good

La tapisserie montrant cette dame d’antan est constellée de logos actuels. L’intention de Perry est de souligner l’ambiguïté du mécénat et des institutions. Il reprend ici l’aspect des murs de logos des galas devant les quels les stars se font photographier. Ces étiquettes mettent en avant des marques qui soutiennent l’art, mais qui leur apporte aussi une respectabilité, une utilité.

Bataille d’Angleterre, 2017

Grayson Perry choisit un titre prestigieux (référence au tableau moderniste de Paul Nash) pour une scène décrivant la réalité de l’Angleterre contemporaine. Il choisit la représentation d’un quotidien sans gloire qui pourtant retrace une certaine violence destructive de la nature par la pollution industrielle. Il cherche à communiquer précisément cette angoisse devant le fait accompli de cet effondrement. Son art se veut accessible, il n’est jamais simpliste.

Son cycle intitulé « La vanité des petites différences » raconte la vie de Tim Rakewell et s’attache à démontrer son parcours de transfuge de classe. Tim est représenté à la fois en bébé dans les bras de sa mère et en enfant observant la scène tout à droite (et sur le tableau, en motard adulte). De vieux lutteurs se prosternent en offrant une lampe à pétrole et un maillot de foot, la grand-mère survole les lieux comme un esprit immortel, les filles s’apprêtent à sortir en boîte. Un monde relié par un cordon rose quasi organique de…règles à observer?

Six tableaux racontent le parcours de Tim de sa naissance à sa mort. Six tapisseries à observer en détail. On le voit adolescent adorateur de chanteur pop, quittant le foyer familial comme chassé d’un paradis, père de famille figé dans un rôle de bobo-écolo, quinquagénaire à la campagne entouré de pancartes revendicatrices, mort dans un accident avec sa Ferrari, au sommet de sa gloire.

L’ascension sociale de Tim se révèle à double sens. Les privilèges sont sertis d’uniformisation et l’authenticité perd sa valeur fondamentale. Les classes dominantes seront-elles capables d’une conscience sociale? La réussite matérielle est-elle l’objectif ultime? Tim a grimpé les échelons, est-il satisfait de la vie qu’il a mené? Chacune de ces tapisserie est inspirée par une oeuvre britannique classique. Ci-dessous quelques vues détaillées de parties des tapisseries où l’on décèle l’ironie de la mise en scène.

Pour en savoir plus, plusieurs articles de ce blog sont consacré au travail de Grayson Perry.

L’exposition du MUDAC présente trois artistes : Goshka Macuga x Grayson Perry x Mary Toms.

Goshka Makuga, née en Pologne, vit et travaille à Londres. La tapisserie ci-dessous représente la tombe de Marx au cimetière Highgate de Londres. La lutte des classe est ici détournée en lutte féministe: « Mort au marxisme, femmes de tous les pays, unissez-vous! »

Goshka Makuga, Death of Marx

Goshka Makuga, Ark of No

Ne manquez pas les deux tapisseries monumentales intitulées Of what is, that it is; of what is not, that is not (2012). Réalisées pour la Documenta 13 à Cassel, l’une confronte des officiels de la manifestation à des figures d’Afghans (vue de Cassel à Kaboul), l’autre transpose la scène à Cassel (vue de Kaboul à Cassel), dans la tradition des grands décors flamands des XVI et XVIIe siècles..

Des oeuvres historiques de la collection Toms sont également présentées aux côtés de celles, contemporaines, de Perry et Makuga.

La collection Toms est l’une des plus importantes collections privées de tapisseries et de broderies anciennes, bâtie durant la seconde moitié du XXe siècle. Mary Toms (1901-1993) et son mari s’installent en 1958 au château de Coinsins, à côté de Gland. Ils collectionnent les tapisseries depuis les années 60. A sa mort, elle lègue au canton de vaud une centaine de tapisseries murales et pièces décoratives en tapisserie et en broderie représentatives des grandes manufactures européennes du début du XVIe à la fin du XIXsiècle. (source)

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