Barbican Center du 6 février au 11 mai 2025, Londres (présentation)

Un peintre au bord du gouffre? Dans une certaine mesure, on pourrait le dire, lui qui est mort à 32 ans. Cette superbe toile représente son père à la fin de sa vie. Elle pourrait de même le représenter lui-même, emporté par un cancer quatre ans après l’avoir peinte. Noah Davis cherchait son inspiration autour de lui et chez les anonymes. Il puisait des images dans les différentes cultures, références populaires ou artistiques : « des marchés aux puces, des archives personnelles, le cinéma et la télévision, la musique, la littérature, l’histoire de l’art et son imagination ». Il voulait montrer les personnes noires autrement qu’avec des flingues et dans la misère, ajouter de la magie à leur réalité. On ne sait jamais sur quel pied danser avec Noah Davis: onirisme ou réalité? matérialité ou hallucination? Spiritualité ou fiction? Il a cofondé avec sa partenaire Karon Davis The Underground Museum, un projet de mise de partage de l’art hors des grandes institutions muséales, qu’iels ont voulu situer dans un quartier défavorisé de Los Angeles. Avec pour objectif d’offrir de l’art de niveau muséal aux personnes n’ayant que peu ou pas de ressource.
« Je rêve d’un héritage artistique qui ne fait pas que transcender l’expérience noire mais qui crée des convergences et impacte toutes les cultures » Noah Davis
En 1865, il fut stipulé par les nordistes que chaque famille afroaméricaine d’esclaves libérés serait indemnisée par le don de « 40 acres et une mule« . Un ordre révoqué la même année après l’assassinat de Lincoln. Davis montre ici un homme sur une licorne, animal fabuleux, issu des contes de fées…La métaphore est aussi un commentaire social.

Refusant de se laisser classer dans et par l’art blanc prédominant, Davis assume sa volonté d’indépendance et tente l’abstraction. L’année de l’élection d’Obama, 2008, il réalise trois toiles géométriques, qu’il intitule tout simplement « 2004« , mais qui ne seront pas vendues. Réutilisées pour d’autres oeuvres, celle-ci est la seule rescapée. On ne le remarque pas sur ma photo, mais elle scintille. Mêlant le rouge républicain au bleu démocrate, cette couleur violette est celle de l’espérance.

Cette queen au centre d’un cercle solaire est un portrait de Karon, celle qu’il appelait Isis. Et que dire de cette procession qui ressemble au port d’un cercueil? Le musicien qui observe la scène fait-il partie des vivants?

Cette queen au centre du soleil est un portrait de Karon, celle qu’il appelait Isis. Et que dire de cette procession qui ressemble au port d’un cercueil? Le musicien qui observe la scène fait-il partie des vivants?

Peinte d’après une photographie de Karon enfant, déguisée en Holly Hobbie, personnage issu d’une série canadienne. Elle rend pathétique cette petite fille noire qui (ou que l’on…) a voulu se grimer de blanc, avec un masque évoquant plus un crâne qu’une poupée.
Deux peintures, l’une acrylique et l’autre huile, de 2007 et 2008, montre l’éclectisme de ses thèmes, le quotidien et sa diversité. Bad Boy for Life m’a fait pensé au tableau de Ernst, « La Vierge donnant une fessée à l’Enfant Jésus », et effectivement à y regarder de plus près, couleurs, composition, lignes et formes s’en rapprochent.

Indéniablement l’oeuvre entier de Davis nous parle. Il m’évoque celles de Peter Doig et de Luc Tuymans pour son atmosphère mystérieuse, légèrement angoissante quelquefois. Le fantastique n’y est jamais totalement absent, même si les scènes de genre semblent anodines. Il peint la série « 1975« , datant de 2013, de façon délavée ce qui ajoute au côté énigmatique des compositions.



Il y a une dimension mystique dans ses choix de composition, mais aussi dans la réalisation et le style de ses peintures. Il fait ressortir l’étrangeté de la banalité.
Champagne et cuisses de grenouilles pour l’ouverture officieuse du Underground Museum! L’exposition montre les sculptures de Karon et les peintures de Noah. Ouvert en 2013, on y trouve un jardin violet dédié à Prince, un bar inspiré de Donald Judd et une bibliothèque de prêts de livres et de disques.Comme aucune galerie ne voulait leur prêter d’oeuvres d’art, Imitation of Wealth, l’exposition suivante est une ode à la « contrebande »! Le titre fait référence au film de Douglas Sirk (Imitation of life) où une jeune femme noire se fait passer pour une blanche.

Reconstitution de l’expo Imitation of Wealth (richesse). Copies d’oeuvres d’artistes blancs…(/Koons, Duchamp, Smithson)
J’ai regretté qu’il n’y ait aucune mention du travail engagé de Karon Davis, son épouse, sculptrice et artiste d’installation.

En 2013, Noah Davis peut se permettre d’acheter ses toiles déjà tendues sur châssis. Cette année-là, on lui diagnostique un liposarcome, forme rare de cancer. Deux ans jour pour jour après la mort de son père.
Alors qu’il suivait six mois de chimiothérapie, Davis réalise une série d’oeuvres sur papoier à partir de son lit d’hôpital. Sur un papier d’archives offert par sa mère, il en découpe 70 morceaux et crée 70 dessins et collages.

Pour la série Pueblo del Rio de 2014, Davis imagine ce qui pourrait ressembler à une culture de quartier défavorisé. L’ensemble immobilier nommé Pueblo del Rio, une cité jardin, a été conçu pour les travailleurs noirs. Il a dégénéré en l’un des quartiers les plus pauvres et dangereux de la ville. Davis décrit lui, un lieu idyllique imaginaire, comme une résistance silencieuse.





En 2015, il réinterprète des photographies prises par son frère durant un voyage au Congo. Ce sont les groupes humains qui l’intéressent, plus que les paysages. Comme pour nous dire que le contexte est accessoire, que l’importance de reconnaître l’humanité prime.


Fin 2013, Helen Molesworth, conservatrice du musée d’art contemporain de Los Angeles (MOCA), lui offre un partenariat de trois ans pour exposer des oeuvres de la collection au Underground Museum. Il organise alors, depuis son lit d’hôpital, 18 expositions qu’il espère voir un jour. Il n’en verra qu’une, celle de l’artiste sud-africain William Kentridge (extrait video).


Ses tableau font partie des trois derniers qu’il a peint en juillet 2015, peu avant sa mort, le 29 août. La réinterprétation du cliché d’un enterrement et celle d’un homme seul marchant courbé au devant de la mort, une solitude humaine universelle.

Ne laissez pas passer une exposition de Noah Davis sans y aller. J’ai eu beaucoup de chance de visiter celle de la Barbican et de découvrir ce peintre exceptionnel qui est raconte des histoires à multiples interprétations dans un style magistral. Et disons que sur les 400 oeuvres de l’artiste, il en reste à voir beaucoup. Le bel article de ArtCritic est à lire ICI.





