« The Seagull » Thomas Ostermeier

Barbican Theater, London, du 26 février au 5 avril 2025

Petite parenthèse: aujourd’hui 4 avril, Culturieuse.blog fête ses douze ans d’existence!

Lors de ma visite à Londres, j’avais programmé des visites d’expositions, mais aussi cette pièce, The Seagull (la Mouette) » d’Anton Tchekhov, adaptée par Duncan Macmillanet et Thomas Ostermeier, dans une mise en scène de ce dernier, avec Cate Blanchett dans le rôle d’Irina Arkàdina. Quelle chance, juste avant la fin des représentations!

J’ai triché et pris la liberté de prendre une photo du décor (de Magda Willi) avant le début de la pièce. Lequel, comme on peut le voir, est d’une grande pureté frôlant l’abstraction. Le fond de scène est une paroi incurvée et les abords du lac sont figurés par une grappe de joncs d’où surgiront ou disparaîtront peu à peu les personnages. Deux chaises longues seront bientôt rejointes par des pliants et autres chaises de jardin lors de la représentation de la pièce de Konstantin.

En effet, pour dire deux mots de la narration, nous sommes ici dans la propriété de Sorine, le frère de la célèbre actrice Irina Arkadina. Elle prend des vacances avec son amant Trigorine, romancier à succès. Le fils d’Arkadina, Konstantin Treplev a des velléités théâtrales. Il a invité la compagnie à une représentation de sa première pièce, interprétée par Nina dont il est amoureux, une jeune fille en veine de devenir actrice, à l’insu de ses parents, des propriétaires voisins. Cette dernière sera attirée par Trigorine. (Medvedenko qui aime Masha qui aime Konstantin qui aime Nina qui aime Trigorine, etc.: Tragédie grecque en puissance)

L’un des thèmes de la pièce est la confrontation entre théâtre classique, représenté par Arkadina, et théâtre moderne ou contemporain que soutient Kostia (Konstantin). La grande actrice ne prend pas la création de son fils au sérieux et interrompt le spectacle à plusieurs reprises ce qui rend Kostia fou de rage et de dépit.

C’est Medvedenko (Zachary Hart), le maître d’école amoureux de Macha (qui vibre pour Kostia), qui ouvre seul le propos débarquant sur scène juché sur un véhicule genre petit tracteur. Il interpelle le public, le faisant réagir par des cris et des rires, puis, accompagné d’une guitare électrique, il se met à jouer et chanter (peut-être Milkman of human kindness, Billy Bragg, folklo engagé punk rock). Et ainsi fera-t-il pour introduire les actes de la pièce..

Cette fois-ci, Thomas Ostermeier prend l’option comédie pour cette Mouette. Sauf évidemment le dernier acte qui reste tragique. Il y a neuf ans sa mise en scène de La Mouette à Lausanne était plus dramatique (voir l’article de 2016). On voit ici à quel point les positions du metteur en scène changent l’angle de vision d’une oeuvre. Les mêmes thèmes sont traités, mais de façon différente, par le même artiste. Dans l’interview édité de la brochure de salle, Ostermeier déclare découvrir de nouveaux enjeux dans la pièce. Peut-être tenter d’y combattre une sentimentalité éperdue et y inviter l’humour tout en évitant de tomber dans le grotesque. The Seagull parle d’amour et d’art au moment où la société du temps de Tchekhov (tout comme la nôtre) bascule dans le désastre. Ostermeier y voit une comédie, la description d’un monde, sans jugement personnel. Il désire seulement rendre les personnages beaux et complexes. Le public est d’ailleurs interpellé: que fait-il ici, au théâtre? L’art peut-il changer le monde?

Les spectateurs anglophones ont beaucoup ri. Comme moi, Ostermeier s’est étonné de voir les spectateurices entrer en salle avec leurs verres de champagne. Il y a ici peut-être une façon de regarder le monde d’une façon plus légère. Ma compréhension limitée de la langue ne m’a hélas pas permis une totale compréhension de cet humour, même si j’ai apprécié ce que je voyais et saisi des bribes de l’adaptation. A un moment, le personnage de Trigorine interpelle le public sur la question philosophique de notre raison d’être ici, au théâtre. Il n’a pas obtenu de réponse ce soir-là.

Et l’artiste célèbre qui joue une célèbre actrice? Je l’ai trouvée formidable. Elle est capable de conserver une bonne dose d’autodérision tout en tenant compte du tragique de cette relation toxique intergénérationnelle. Elle joue avec ce conflit égocentré de mère préoccupée (par moments) et d’actrice prétentieuse, choisissant tout de même son art et son amant. Elle joue un personnage qui ne peut s’arrêter de jouer, toujours en représentation, même dans la réalité. Elle s’amuse de cet effet miroir. Elle est larguée par la position de son fils sur un théâtre débarrassé de ce qu’il juge classique et dépassé, elle ne le prend pas au sérieux tout en se sentant attaquée dans sa propre pratique. Peut-être manque-t-elle d’un amour véritable, paralysée par son ego, mais elle le laisse libre de ses choix, comme elle l’est des siens. Cate Blanchett possède une partition d’actrice considérable. Elle danse et joue des claquettes, elle rit et pleure, se lamente et explose, charme et surprend, change les registres de sa voix. Elle interprète une femme déterminée et cela lui va comme un gant.

Photos Richard Lakos

Les photos ci-dessus sont de Marc Brenner

La pièce dans la pièce, celle de Kostia qui se veut avant-gardiste, est censée être jouée en réalité virtuelle. Kostia a distribué des boîtes aux acteurices-spectateurices qui s’avèrent contenir des lunettes VR. Nina, la jeune actrice en puissance dont il est amoureux, arrive sur scène bardée de courroies et de capteurs. Elle sera hissée par des cordes pour simuler un vol. Arkadina est visiblement dépassée par ce concept et ne croit pas à son potentiel théâtral. Kostia, lui, est dévasté par l’incompréhension, l’égocentrisme et l’insensibilité de sa mère, l’actrice expérimentée qu’elle est forcément.

Sorine est très drôle dans cette version. De santé fragile dès le début, il n’hésite pas à plaisanter de son état jusqu’à son dernier souffle. Nina l’ingénue peine à trouver le pathétisme de son rôle, je trouve. Peut-être sa tragédie est-elle minorée par l’humour ambiant. Medvedenko est magnifique en chauffeur de salle et de tracteur! Ces riffs de guitare ne sont pas toujours agréables aux oreilles, mais il a la pêche. Trigorine est bien, mais pour ma part, je l’ai trouvé peu expressif. En fait, sous ses dehors distants, il se repaît des détresses ambiantes pour en alimenter sa prose. Konstantin, lui, est pleinement souffrant et torturé.

Comme le dit la chanson, les histoires d’amour finissent mal en général. Kostia a voulu offrir la mouette qu’il a abattue à Nina, effarée de ce choix. La métaphore animale est ensuite reprise par l’écrivain Trigorine, qui est lui-même le bras du destin de Nina:

“Une jeune fille passe toute sa vie sur le rivage d’un lac. Elle aime le lac, comme une mouette, et elle est heureuse et libre, comme une mouette. Mais un homme arrive par hasard et, quand il la voit, par désœuvrement la fait périr. Comme cette mouette »

La courte vidéo personnelle des applaudissements est ICI ( la musique, jouée à plusieurs reprise, est celle des Stranglers, Golden brown)

Une nouvelle fois Thomas Ostermeier galvanise de son théâtre aussi abordable que réflexif! Formidable!

Son spectacle « Le Canard Sauvage« , d’après sera présenté au festival d’Avignon cet été.

A Paris, la Comédie Française propose, du 11 avril au 15 juillet, « Une Mouette« , mise en scène Elsa Granat.

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