Vincent Macaigne « Avant la terreur » d’après Shakespeare et d’autres textes

Au théâtre de Vidy du 19 au 21 avril 2024

Avec Sharif Andoura (Georges), Max Baissette de Malglaive (Edward), Candice Bouchet (reine mère), Thibault Lacroix, Clara Lama Schmit, Pauline Lorillard (Anne), Pascal Rénéric (Richard), Sofia Teillet et des enfants en alternance.

Forcément bruyante, crasseuse et généreuse, cette nouvelle création de Vincent Macaigne est à l’image de ses précédents spectacles: folie et humour, textes en cascades et démolition du quatrième mur.

Déjà la boue envahit le sol devant la première rangée de sièges. Attention terrain glissant! Un brouhaha de voix et de musique inonde la salle durant l’installation du public. On perçoit une histoire du sucre à l’heure anglaise. Les mots « A l’aide » et « On veut la paix » sont inscrits sur les parois de la salle, tandis qu’un épais brouillard la submerge.

Photo Julien Gosselin

Les adresses au public débutent immédiatement. C’est Elisabeth, la soeur de Richard, qui nous prévient: on ne nous fera pas ici le portrait de Richard III, car le monstre est en chacun de nous : « Dans l’intime se cachera le monde dans son entier ».

La mère, sorte de Gaïa hurlante et furieuse, interpelle ses enfants, les traitant plus bas que terre et se débarrasse de la couronne. Qui la saisira? Richard veut obtenir le pouvoir pour créer un monde de paix à n’importe quel prix, même celui de la violence. Un écran exhibe des horreurs actuelles, catastrophes et accidents de la route. Richard, tu n’es qu’à trois morts de la couronne! lui souffle Georges. Clarence, le frère qui aurait aimé nager dans les profondeurs, est éliminé par une infirmière. Celle-ci s’exprime au nom du peuple qui voulait la paix. Anne, en cage, est libérée par Richard. Il exprime son désir pour elle, débute un chantage au suicide, la force à l’épouser, joue une sorte de Depardieu gentil et monstrueux à la fois : « Pardonnez-moi si j’ai offensé….ou tué ». Mais Anne se tue et la mère réapparait, toujours aussi irascible.

Photo Simon Gosselin

And so on… les textes sont virulents, empreints des désastreuses vérités de notre présent. Les citations sont souvent issues des paroles des autocrates de notre temps.  Chaque personnage y a sa  place, s’adressant directement au public, le réclamant debout , s’insinuant dans les rangs ou les couloirs. Le neveu, Andrew, parle pour la jeunesse: « Vous êtes né il y a longtemps, vous êtes en dehors de tout présent, vous devriez disparaître! Le vrai sujet est l’effondrement! » (Ce jeune acteur, dont nous verrons les yeux écarquillés sur grand écran, tel le portrait désespéré de Courbet, est impressionnant). On lui rétorque que son discours est un discours d’élite et on le fait taire. La douche de pétrole n’est en fait que de la merde. La mère tue le fils. A la fin, ne resteront qu’une femme et une fillette : « C’est dans ton regard que je peux encore croire en l’avenir. Ne t’en fais pas. Nous sommes morts depuis longtemps. »

Photo Julien Gosselin

Parmi la boue et les déchets, s’édifient des images superbes dont la caméra s’empare pour en tracer un tableau baroque. Chaos et tumulte s’allient pour faire de ce spectacle, l’allégorie vivante de ce monde en déréliction. Les acteurices sont formidables, mis.e.s à rude épreuve, cette troupe incroyable offre au public une performance remarquable. Avec ce texte mêlant le bien et le mal, le réel, l’histoire et la fiction, la pièce touche aux grandes contradictions de ce monde insensé. Ce Richard III est un monstre de plus sur la scène politique d’un pouvoir barbare, patriarcal et ancestral. Et, oh merveille, ce n’est pas lui qui gagne! (on peut rêver). Ce théâtre total et subversif de Macaigne, théâtre de la démesure et du choc, il faut l’ingérer puis le digérer. Interroger cette situation, poser des questions en vrac, pousser à la réflexion, voilà ce qui émerge du théâtre déchaîné de Vincent Macaigne. Si vous écoutez son entretien radiophonique, vous l’entendrez dire:

« J’ai voulu parler de l’état du monde et aussi écrire une sorte de lettre d’excuse. Celle de ma génération qui n’a pas su agir et dont l’inaction aura été une forme de violence à l’égard des plus faibles« 

4 réflexions sur “Vincent Macaigne « Avant la terreur » d’après Shakespeare et d’autres textes

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